lundi 13 avril 2020

Journal de déconfinement – jour 6

Ce matin, la cité se trouve emplie de héros - le héros est celui qui concourt à sauver des vies en risquant la sienne - : le médecin, l'infirmier, l'aide-soignant, bien sûr, mais aussi la lingère qui lave les draps infectés ("Les petits salaires sont en première ligne, à l'égal du personnel soignant."), le livreur de repas gratuits aux soignants exténués et pressés, l'employé municipal qui visite les personnes seules... Le héros n'a même pas besoin de sauver une vie, il lui suffit de risquer d'attraper le virus ; par exemple, en allant récolter des asperges. Nous vivons donc en ce moment la grande fraternité de l'héroïsme !
Bien que nous, qui restons sagement à la maison, ne soyons nullement de cette étoffe, nous pensons faire rejaillir un peu de leur gloire sur nous-mêmes en les applaudissant chaque soir à heure fixe, essayant de nous convaincre que ce rite dérisoire leur donne un surplus de courage et de force pour retourner au front. Et quand on demande aux intéressés "Alors, ça fait du bien, hein, d'avoir le soutien des Français", que voulez-vous qu'ils répondent ? "Où étiez-vous au temps que nous vous réclamions du soutien ?"
Faut-il aussi applaudir les ouvriers de PSA qui ont repris la production malgré le confinement ?  
A l'opposé du héros, il y a le salaud, celui qui met la vie des autres en danger, par exemple, en allant dans les bois sans autre raison que de s'y promener. Mais en quoi ce flâneur solitaire crée-t-il du danger pour lui-même ou pour autrui ? ... ? Du moment qu'on se tient à distance les uns des autres et qu'on porte un masque, on ne risque rien. Non ? Alors la raison véritable pour laquelle ce type est un salaud, c'est qu'il contrevient à la loi. C'est cela en fait, cette bravade, cet outrage à l'autorité, qui doit nous paraître insupportable. Et c'est pourquoi on nous en rebat les oreilles.
J'ai entendu que le maire de La Baule réclamait du gouvernement davantage de fermeté et de restrictions sous prétexte qu'il avait vu des jeunes bourrés sur la plage. Il n'est pas seul à être cité ainsi en exemple. Ils sont même nombreux, en ce moment, les maires qui profitent qu'ils soient réquisitionnés afin de faire respecter les ordonnances de confinement pour se gonfler le jabot et jouer les petits chefs. Certains maires voudrait-ils être de nos héros ? Normal, il y a encore deux mois, ils pleurnichaient qu'ils n'avaient plus de pouvoir de décision, plus de moyens d'action, et que dans ces conditions ils allaient jeter l'éponge... Et là, ils sont invités par le gouvernement à exercer, main dans la main avec lui, leur pouvoir de police. Au risque d'attraper le virus ! Comme c'est valorisant. Pour le reste, rien n'a changé. 
Voilà donc les élus locaux transformés par la grâce du C-19 en simples flics. Il est vrai que c'est pour notre bien, pour nous protéger de nous-mêmes, parce que tels des enfants trop insouciants qui n'ont pas leur plein jugement, nous ne comprenons pas l'enjeu de tout cela : nous ne pensons qu'à nous amuser. Heureusement donc que les flics sont là pour nous ramener à la raison, à coup d'amendes astronomiques et d'humiliations en prime ; pas seulement les quelques provocateurs ou inconscients qui ne se soucient pas de véhiculer ou non le virus, mais aussi les promeneurs solitaires et respectueux des gestes barrières qu'on ira engueuler du haut d'un hélico ou d'un drone avant de les verbaliser. Jamais, à aucun moment, nos autorités n'ont fait appel à notre intelligence, à notre jugement, elle n'ont fait qu'user d'autorité : "Restez chez vous et applaudissez !"
Les flics, eux, sont obligés de sortir malgré le confinement. Ils risquent donc de choper et transporter le virus. Sont-ils des héros ? Ce serait logique, mais personne n'a encore osé les applaudir. Eux-mêmes n'ont d'ailleurs pas eu l'idée d'applaudir les soignants, comme l'ont fait ostensiblement les pompiers et les ambulanciers. Quelque chose a sans doute du mal à passer. 
Comme disait ma femme, ce serait rigolo qu'un CRS se fasse soigner du C-19 par l'infirmière qu'il a gazée et tabassée lors d'une manif. Elle lui demanderait pourquoi il a fait ça et lui, que voulez-vous qu'il réponde ? "Je ne faisais que mon métier, comme vous". Vilain métier, en vérité !

Parmi les infos qui provoquent ma sidération :
1. un collectif de citoyens qui n'ont pas pu accompagner leurs parents au cimetière réclame un monument national sur lequel soient inscrits les noms des morts du C-19.
- Et pourquoi pas une journée nationale du souvenir... !
2. - Ah non ! s'écrie le MEDEF, qui a d'ores et déjà prévenu qu'il allait falloir bosser maintenant, supprimer les jours fériés, sucrer les congés, augmenter le temps de travail (au même salaire, bien sûr) ; menaces répétées aussitôt par le gouvernement.
3. Un député LREM a suggéré que les mesures prises par ordonnances pendant l'état d'urgence soient inscrites dans la loi. (il prépare le terrain)


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