lundi 27 avril 2020

Journal de déconfinement – jour 41

Je me suis abstenu de commentaire hier. Comme on n'applaudit pas le musicien dès l'instant qu'il vient d'offrir sa dernière note, parce que le silence qui la suit n'est qu'un point d'orgue, une interruption momentanée de la musique, il convient aussi de laisser le poème une fois lu nous parler encore. Celui de Valérie dit tout, la tristesse, la tendresse, la gratitude, la douleur, le désarroi, les bonheurs inoubliables, la solitude de l'âme et le besoin des autres... il fallait le temps de mûrir et savourer ces sentiments, un temps pour comprendre que ce poème est un appel à la vie.
Oui, la mort fait partie de la vie, comme le silence qui termine la chanson. Comment dès lors ne pas en tenir compte ? 
Autrefois sans doute - je parle d'un temps que j'ai connu -, on avait mieux ce courage : on se préparait à recevoir la mort, en songeant à ceux qui resteraient, à leur vie d'après ; on tâchait d'arranger ses affaires avant de tirer sa révérence. Puis quand le moment fatidique arrivait, toute la communauté accompagnait le défunt, avec sa famille, d'abord en le visitant chez lui, sur son lit, bien mis dans ses plus beaux vêtements, comme dormant, puis à l'église, puis à la porte de l'église où le corbillard, aux ordres, attendait que l'on eût fini de se serrer les mains et de s'abrasser sans retenir ses larmes, puis le long des rues avec la lenteur et la gravité nécessaires et enfin au cimetière où l'on pleurait encore devant le trou définitif. On se retrouvait ensuite, la famille, les amis et les proches voisins, à la maison ou bien dans quelque salle de café, pour manger et pour boire, occasion d'embrasser à nouveau les plus malheureux, le veuf ou la veuve, les enfants, les parents, les frères et soeurs. Alors, malgré le chagrin, dans la chaleur des épanchements et, pour certains, des retrouvailles, on finissait par se remémorer les bons moments, se raconter jusqu'aux bêtises qu'on avait faites avec le désormais mort, et on parvenait ainsi à se trouver des consolations et à rire parfois.
Aujourd'hui, le cortège funéraire par les rues n'est plus autorisé. Le rituel du recueillement et des condoléances au dépositoire a, lui aussi, frôlé l'interdiction - on se demande par quelle méchante intention avait été motivée la décision de fermeture - ; ainsi aurait disparu le dernier endroit où les relations, le voisinage, les lointaines connaissances peuvent témoigner de leur compassion, de leur estime ou de leur affection, puisque aujourd'hui, on n'accompagne plus : on attend par politesse, et sans un mot, que le cercueil soit chargé dans le fourgon, et puis chacun s'en va dans sa bagnole et la famille seule se retrouve à clore ce dernier adieu expéditif en jetant une poignée de terre ou une rose dans la fosse, comme on voit faire dans les films américains.
Il n'y a plus que les grands hommes, les femmes de quelque stature nationale, les stars de la chanson et les militaires à qui l'on accorde l'hommage, l'autorisation de les honorer collectivement, dans une mise en scène parfois obscène, au regard de la tradition populaire si simple et naturelle.
Pour éponger sa peine, Valérie n'a eu que "la tendre pelouse".
Car voilà que des règles sanitaires réduisent le deuil à rien. Effrayante est cette frayeur de la contamination. On a bien compris maintenant que la décision de confiner aussi strictement a été prise parce qu'on savait pertinemment qu'il n'y aurait pas assez de lits, ni de matériels, ni de médicaments dans les hôpitaux pour soigner des malades en si grand nombre. Ce fut sans aucun doute un cruel dilemme pour les gouvernements : éviter des morts ou sauvegarder l'économie ! Et contre toute attente, ils ont choisi la mort de la croissance et du PIB - et celle de l'état par la dette contractée auprès des banques privées. Peut-être parce que pour eux le dilemme n'était pas tout à fait celui qu'on croit : dans la balance pesait sans doute aussi le risque qu'on les juge plus tard pour avoir laissé sciemment l'épidémie tuer les gens. En fait, ils ont en même temps choisi de sauver leur peau. De tous les gouvernements, c'est le français qui a le plus tardé, tergiversé, cafouillé, et menti par dessus le marché. Qu'est-ce que ça peut bien signifier de la façon dont nos premiers de cordée pensent le pouvoir et le service à la nation ?
Après ça, la confiance s'est définitivement dissoute dans l'affligeant spectacle de leur gestion qui n'a fait qu'ajouter à la catastrophe. Le risque est que nous ne sortions pas indemnes, ou pas du tout, de la peut et du doute, que nous acceptions finalement de rester cloîtrés (sur ordre ou dans nos têtes au moins) pour le restant de nos jours... et la génération suivante... tout en continuant de travailler, cela va de soi, en même temps qu'on laissera toujours les enfants dans les structures d'accueil et les vieux parents seuls dans les Ehpad, faute de pouvoir s'en occuper, faute de pouvoir les choyer, à cause justement du travail qui doit nous prendre la vie tout entière. En conséquence, les plages resteront fermées.
 A la fin, les travailleurs d'aujourd'hui deviendront de vieux ex-travailleurs ; oisifs ne produisant plus rien, ils ne seront regardés que comme des boulets. A l'instar des prêts pourris qui ne seront peut-être pas remboursés cette fois-ci, ou du pétrole de gaz de schiste américain qui ne vaut plus tripette, les vieux vaudront (valent déjà) moins que zéro, ce qui peut se dire aussi "les vieux valent davantage morts que vifs". Mais ceci n'est vrai que pour ce gouvernement et les capitalistes qui le récompensent de sa docilité. Pour la société Korian ($) en revanche, dont d'autres vautours capitalistes sont actionnaires, les vieux sont une rente - tu penses bien : à 2700 euros par mois !
Qu'ils se bouffent entre eux, mais pas sur notre dos.

Amies, amis, à demain.
 
de la part d'Alain
de la part de Romain

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