samedi 18 avril 2020

Journal de déconfinement - jour 33


Le confinement, qui devrait être absolu pour être parfaitement efficace, souffre d’une terrible faiblesse : la nécessité ; nécessité de maintenir en vie les humains par le moyen de la rupture du confinement. D’où le concept, officiel, de ces « achats de première nécessité » qui figure sur l’attestation de sortie dérogatoire.

La liste des dits achats n’a pas été fournie mais il y a bien sûr d’abord nécessité de boire et manger (bien qu’un petit jeûne ne fasse pas de mal) et de se soigner, pour les personnes en traitement. Il apparaît vite que dans l’alimentation, tout n’est pas de première nécessité ; j’ai lu ainsi qu’une dame avait été verbalisée pour avoir acheté un paquet de gâteaux pour sa petite fille.

Bien que l’affaire eût ensuite été minimisée, décrite comme un abus isolé, elle n’en est pas moins symptomatique de l’esprit maladif dans lequel ce confinement est géré : l’obéissant pandore avait bien compris que dans le gâteau, il y a du plaisir gustatif, ferment du péché de gourmandise, qui est en quelque sorte un supplément superfétatoire à l’utilité de se sustenter. « Pas de première nécessité, hop, je verbalise. » Sans pitié.

Cette dame avait peut-être bien elle-même songé un instant que les gâteaux étaient de trop, un luxe auquel elle aurait dû renoncer pour acheter plutôt un bout de pain noir plus nourrissant et qui ne fait pas grossir. Mais elle a étouffé ses scrupules… et fait plaisir à son enfant. La plus inquiétante pensée qui puisse alors venir à l’esprit est qu’elle s’en soit culpabilisée. Pire encore : que d’autres la condamnent.

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Bon, les gens, nous, on s’est fait notre propre liste des nécessités : pain sous cellophane, pâtes, riz, lait, œufs, farine, huile, sucre et PQ. Ces rayons se sont vidés en un éclair à l’annonce du confinement. Donc, en gros, des hydrates de carbone (glucides), de quoi faire des crêpes et de quoi garder le cul propre (pour ça, il y a aussi le savon).

Il va de soi que les petits pots et les couches pour bébés sont nécessaires.

Il va de soi que les croquettes et la litière pour chat sont nécessaires. Les daphnies lyophilisées ? Oui, aussi.

Dans cette catégorie, il y aura encore les patates, les fruits et légumes, les conserves, les viandes, et cetera, avant d’arriver aux denrées de… - comment dire – nécessité secondaire ou de non nécessité. Les cacahuètes et le sauvignon de Loire en font sans doute partie.
Ah non ? OK. Chacun sa façon de juger.

Et nous en arrivons enfin à déterminer un certain nombre de denrées carrément inutiles, dont je laisserai également à chacun le soin d’établir la liste.

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De l’indispensable à l’inutile, notre inventaire illustre notre façon de vivre, résume notre façon de concevoir la vie.
Qu’on applique ce filtre à tous les domaines de la vie sociale (le travail, les loisirs, la culture, le divertissement, l’information, l’éducation, les relations, la santé, la mort…) et cela devient encore plus évident, au niveau individuel, et surtout à l’échelle des groupes humains, des classes sociales, de notre société tout entière, car il s’en dégagera des tendances qu’on pourra comparer avec profit à ce qui existe ailleurs ou a existé chez nous par le passé, tendances qui ont déjà été étudiées par ailleurs.

Combien de fois avons-nous entendu ces affirmations : « Je ne pourrais pas vivre sans téléphone portable », « Mais comment vous faisiez quand vous n’aviez pas la télé ? ».
Comment la voiture nous est-elle progressivement devenue nécessaire dans tous les domaines cités ci-avant et pourquoi l’Internet le sera-t-il bientôt lui aussi. D'abord, on appâte en faisant miroiter les avantages (en partie conférés artificiellement) du nouvel objet ; puis, quand un pourcentage suffisant de la population a été hameçonné, on crée de plus en plus de nécessités absolues de l’utiliser pour forcer les derniers récalcitrants à s’équiper. Ensuite, quand on est tous dans le bain, s'il y a pénurie, on souffre de manque, on tape des pieds pour en avoir.

On nous a imposé la ceinture, le gilet jaune, l’éthylotest, l’alarme incendie. Mauvaise stratégie, car ça a eu du mal à prendre, en dépit du fait que c’était pour notre bien.
Maintenant le masque pourrait devenir obligatoire, et pour un long moment ; c'est ce qu’on entend chaque jour d'un nouvel expert en épidémies ou infections : ils nous avouent ne pas savoir quand finira le confinement. Et là, ça pourrait bien fonctionner. Cette idée me semble en effet suffisamment ressassée pour que la crainte d’attraper le virus dans six mois, un an, chaque année, ait déjà contaminé un grand nombre de nos concitoyens et il se pourrait bien que le panurgien public que nous sommes finisse par être collectivement immunisé contre l’idée de revenir à l’état d’avant, au temps où l’on pouvait voir les dents d’un sourire, se serrer la louche et se biser à tout-va mille fois par jour.
Ainsi au fil de cette mésaventure virale sans fin, nous aurons bientôt intégré la nécessité de nous protéger éternellement de nos congénères et inscrirons le masque, les gants et le désinfectant sur la liste des fournitures de première nécessité - et pourquoi pas la puce électronique sous-cutanée capable, pour notre bien à tous, de repérer tel ou tel symptôme de telle ou telle maladie. Et si la production ne suit pas, nous réclamerons véhémentement contre ce que nous appellerons un scandale.

Comme toutes ces fournitures (médicales ou grand public) sont jetables, il y a un sacré paquet de fric à se faire ! Elles ne sont pas non plus recyclables, forcément.

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