dimanche 12 avril 2020

Journal de déconfinement - jour 5

Je vous racontais il y a trois jours comment nous sortirions du confinement plus malins, plus libres que jamais, d'abord dans nos têtes, puis dans les faits, parce que nous oserions tenter l'aventure du retour en arrière, qui en réalité serait le vrai progrès, l'aventure de la solidarité, de la liberté, de la décroissance. 
Depuis, j'ai fait quelques courses et je me suis donc trouvé à la fin d'une longue file, puis au milieu, un bon moment avant de pouvoir entrer dans le magasin. Et durant toutes ces longues minutes (quinze, vingt), d'un bout à l'autre, personne n'a échangé un seul mot avec ses voisins d'un mètre, chacun tête baissée ou le nez en l'air, de manière que ne se croisent pas les regards, exactement comme avant - non, pire qu'avant : sinistre défilé, tristesse et résignation palpables.
Ca ne présage rien de bon. Sommes-nous sidérés (désormais au lexique de la novlangue) à ce point ? Ou est-ce la trop longue habitude ? Je me rappelle le temps des commerces au village. On y faisait la queue, son cabas à bout de bras, et on se parlait. On blaguait, on prenait des nouvelles les uns des autres, on râlait contre les cons, on discutait de nos problèmes et, oui, on disait aussi un peu de mal des absents ; on se parlait, quoi. On pouvait donc se comprendre et partant de là s'entraider. On savait plus ou moins comment chacun pensait. Les rouges (les cocos) et les blancs (les curetons) formaient clans, tout en sachant qu'au fond le souci de l'humain les rassemblerait au moindre coup dur.
Maintenant, c'est chacun pour soi. Les nouveaux habitants ne saluent plus. On les croise, ils font semblant de ne pas vous voir. Pour ça, le portable est idéal... Je me demande s'il n'est pas déjà trop tard pour se reparler. J'ai bien essayé avec la dame derrière moi : je lui ai souri et j'ai dit "C'est terrible, ce silence, vous ne trouvez pas ?" Au-dessus de son masque, les yeux faisaient des aller-retour gauche droite ; je me suis douté qu'elle était gênée. Elle a bredouillé quelque chose que je n'ai pas compris et s'est détournée. Je dirais bien que je la comprends : "C'est vrai, quoi, on ne sait jamais à qui on a affaire."
Mais je me suis souvenu d'une conversation avec un monsieur âgé que nous avions rencontré en 2008 sur une plage de Lettonie. "Les Lettons ne sont pas causants. Dans la rue ou les commerces, ils ne disent ni pardon, ni merci, ni bonjour, rien. Ils ne sourient même pas. C'est étrange, pour nous, Français. - Vous savez que nous avons connu le régime soviétique, monsieur ? En dehors du cercle familial, on ne se parlait pas, parce que vous ne saviez jamais à qui vous aviez affaire : un policier de la tcheka... ou un simple dénonciateur." Aujourd'hui, les Lettons ont retrouvé de la chaleur dans leur espace public. Mais chez nous, ce grand silence des queues de magasin ne présage rien de bon.
Ca fait pour l'heure les affaires du gouvernement qui vient de se taper plus d'un an et demi de contestation, réprimée sans motif et avec la violence qu'on sait. Vu comme il a géré la crise qu'on dit sanitaire mais qui n'est qu'une crise de l'état, il doit faire dans son froc que les gilets jaunes et les syndicalistes se voient, à la sortie du confinement, promptement rejoints par tous ceux qui n'avaient pas osé descendre au rond-point ou dans la rue avec les soignants et les pompiers, tout en n'en pensant pas moins. J'espère ardemment qu'il a raison de le craindre...
A propos d'état, voici un texte de Giancarlo Sanguinetti, extrait de son pamphlet "Du terrorisme et de l'état" (1979) dans lequel il accuse l'état italien d'être l'instigateur de la tuerie de la piazza Fontana à Milan (1969) et de l'assassinat d'Aldo Moro (1978) aux fins de réaliser l'union nationale sacrée dans une période où son pouvoir était fortement contesté.




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