Supposons que ce matin j'aie eu envie de me promener en compagnie de mon frère, comme nous le faisons souvent (quand il n'y a pas interdiction de se déplacer), histoire de nous aérer, de garder à nos vieilles gambettes un peu de souplesse, de causer de la vie comme elle va...
Mais avec le confinement, ce n'est pas possible : il n'y a pas de dérogation pour désir de compagnie.
On peut effectuer des "déplacements brefs", "une heure par jour", "dans un rayon d'un kilomètre autour de son domicile", "sans proximité avec d'autres personnes" sauf si elles habitent le même foyer. C'est le règlement d'une cour de prison.
Mon frère et moi n'habitons pas ensemble.
Et d'ailleurs nos domiciles sont éloignés de deux mille et quarante mètres exactement. 2% de trop pour pouvoir nous parler sans devoir hurler. Ce n'est pas de chance.
Mais bon. Disons que nous résigner et nous soumettre aurait constitué pour nous un crève-coeur et supposons que nous ayons alors décidé de passer outre, en mettant de notre côté toutes les chances pour ne pas nous faire attraper - tout de même pas envie de nous prendre une prune de 135 balles, dites donc !
Imaginons que, sur notre attestation de déplacement dérogatoire, nous aurions coché la case "pour effectuer une promenade" et que nous nous serions rencontrés, comme d'habitude, à mi-chemin et que comme d'habitude, nous aurions bifurqué vers la forêt mais cette fois l'un après l'autre et en nous tenant à distance l'un de l'autre, l'air de ne pas nous connaître, et qu'après, sous le couvert des arbres, hop, nous aurions fait notre balade ordinaire, en foulant avec un certain plaisir le tapis des jolies feuilles mortes de l'automne...
Pas mal, oui, mais un peu court. Parce que lui et moi, nous marchons plutôt lentement, à un rythme qui est normal, à nos âges. En gros, vingt minutes au kilomètre. Ce qui fait aller-retour quarante minutes. Restent dix minutes pour atteindre la forêt et dix pour en revenir. Plutôt frustrant, bon sang ! Non, ça n'en aurait pas valu la peine.
Allez, disons que nous aurions plutôt coché la case "pour faire des achats", parce que là au moins, il n'y a pas de durée maximale précisée. Nous serions passés dans un commerce quelconque ; par exemple, lui pour acheter une boîte de ronron pour son chat et moi un paquet de mouchoirs en papier pour mon nez - en guise de preuve.
Seulement, par les rues, il nous aurait fallu être davantage sur nos gardes et nous tenir tout le temps à distance. Non, vraiment pas marrant.
Et puis le gros hic, c'est que le commerce le plus plus proche autorisé à ouvrir est le supermarché, à huit kilomètres d'ici. Nous aurions dû y aller en voiture. Donc rien à voir avec notre projet initial.
Et puis nous aurions été côte à côte dans la voiture et je ne sais pas s'il existe, le gendarme qui nous aurait laissés passer en supposant que nous étions un couple.
Enfin, statistiquement, il y a davantage de chances de croiser la maréchaussée en voiture que sur un chemin en pleine nature.
Ah, quel casse-tête !
Enfin, ce n'était qu'une simple supposition : nous ne sommes pas sortis nous promener comme avant. Nous avons remis le plaisir d'être ensemble à des jours meilleurs. "A la saint glinglin", m'a dit, mon frère au téléphone, pour plaisanter. Mais il riait jaune. Et moi aussi.
Parce qu'enfin, qu'est-ce que nous aurions fait s'il n'y avait pas eu cette stupide interdiction de déplacement ? Eh bien, nous aurions fait comme d'habitude, le même trajet dans le même temps non compté, en évitant un peu mieux que d'habitude de nous postillonner dessus. Et comme d'habitude, nous aurions rencontré deux ou trois connaissances avec lesquelles nous aurions échangé quelques mots à distance, sans nous serrer les mains.
Au lieu de quoi nous sommes restés à la maison à tourner en rond.
Aujourd'hui encore, sur toutes les chaînes, c'était virus, covid et menace de mort, jusqu'à la nausée.
Richard
(à suivre)
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