Réunion du Conseil de Défense-Sécurité-Urgence au Palais de
Leslisiers, République du Banana.
9h30. On attend le président.
Salmonelle, le directeur de la Santé Publique se gratte le
nez, les coins de la bouche et le cou, tout en feuilletant un dossier de quatre
pages dont chacune porte un nombre, celui des positifs au test de covid, celui
des hospitalisés, celui des lits occupés en réanimation, celui des morts.
Castorex, Véreux et Darmanino s’impatientent. Lamère, invité exceptionnel, se tortille, un peu gêné. Le
général Dugenou, raide sur sa chaise, reste impassible. Degol, le conseiller en
stratégie, taille son crayon en vue de prendre des notes.
- Qu’est-ce qu’il a à être en retard comme ça,
systématiquement, depuis un moment ?
- Il n’a pas le moral, ça se comprend. Il sent bien que pour sa
réélection, c’est foutu.
- Moi, je dirais carrément qu’il est en rogne.
- Bin-in, y a de quoi : en plus, rien ne marche.
- Chut, le voilà.
9h35. Le président entre. On se lève. Il s’assoit. On
s’assoit.
- Bon alors, Salmonelle, qu’est-ce que vous nous annoncez
pour aujourd’hui ?
- Une catastrophe, mon président ! Le virus circule à
la vitesse de la lumière. Selon nos calculs, chaque Bananien est susceptible
d’être infecté dans les dix jours qui viennent. Dans un mois, ils seront tous
morts. Il faut donc rapidement monter encore en puissance, interdire tout
déplacement, imposer le masque à domicile…
Véreux opine du chef mais Castorex s’agace :
- Arrêtez, Salmonelle, ce n’est pas possible. Vous n’avez
pas vu comme les gens se rebiffent ? Les commerçants bravent
l’interdiction d’ouvrir, les maires lancent des pétitions pour les soutenir, les
gens manifestent dans toutes les villes, même les vieux se mettent à gruger…
- Oui, il faudrait au moins rouvrir les commerces. Hasarde Lamère.
Salmonelle tape du pied :
- Pas question. Pas question. Je ne veux pas me dédire.
Un blanc. On regarde le président qui est en train de se ronger
un ongle. Son regard fait des allers et retours des uns aux autres. On sent que
la marmite bout. Et voilà qu'elle explose :
- Putain de bordel de merde ! Vous ne comprenez donc
rien ? Il n’est pas-ques-tion-de-re-cu-ler ! (coup de poing sur la table)
J’aurais l’air de quoi, hein ? Vous voulez que je me ridiculise ?
Protestations vigoureuses de Castorex et Véreux. Darmanino
baisse les paupières. Salmonelle jubile :
- Vous êtes donc d’accord avec moi, mon président.
- Ah, vous, fermez-la ! Tonne le président. C’est à
cause de vous et de vos experts qu’on est embringué dans cette galère.
Salmonelle, dans sa barbe marmonne quelque chose comme " Mais ça t'a bien arrangé, hein, mon cochon. Et maintenant t'as la pétoche que les gilets jaunes reviennent. Tu sais pas comment sortir de l'état d'urgence. Et t'es bien content d'avoir Salmonelle et ses experts pour justifier ça, hein ?".
9h40. La femme du président entre dans la pièce.
- Mon bébé ?
On se lève. On salue. Madame fait un petit geste d’humilité.
- Dis, bébé, il y a des gens qui manifestent dans les rues
de la capitale. Je les entends très bien. C’est très désagréable.
- Ah bon ? Et qu’est-ce qu’ils veulent.
- Euh, ils veulent travailler, je crois.
- Eh ben, qu’ils se sortent les doigts du cul et qu’ils
traversent la rue.
- Oh. Tu n’es pas gentil de dire une chose pareille, bébé. Tu
sais, il paraît qu'il y en a qui ne peuvent même plus s’acheter à manger… C’est
triste, un peu.
- Eh bien, qu’ils jeûnent. C’est très bon pour la santé.
- Oui, c’est vrai ça.
- Bon. Darmanino va s’occuper de ces gueux, Maminia.
- Merci, bébé.
Madame se retire. On se lève. On bredouille des respects. On s’assoit.
9h45. Silence.
- Bon, on fait quoi ? Demande Lamère.
- Rien. On ne change rien, j’ai dit. Confinement jusqu’au 1er
décembre. Après, on ouvre les commerces jusqu’à Noël, mais pas les bars, pas
les restaurants. Et reconfinement en janvier. Mais il faut absolument que cette
chienlit s’arrête.
- OK, président. Je vais leur serrer la vis. Plus aucune
autorisation de manifester. Et je vais augmenter les contrôles, je mets tous
mes gendarmes sur le coup. Qu’est-ce que vous penseriez de leur donner le droit
d’entrer dans les maisons ?
- Excellente idée, mon cher Darmanino. Demain, Castorex, dépôt
de la loi. Vote. Et vous prenez l’ordonnance après-demain.
Lamère se marre :
- Ho ho ! J’imagine la tête à Mélichon. Il va en faire
une jaunisse. Mais il faut penser aux Bananiens, il y a des chances qu’ils
râlent, quand même.
Véreux lève le doigt :
- Il n’y a qu’à leur faire encore plus peur, en remettre une couche sur
la dangerosité du virus, la mortalité exponentielle, la tension dans les
services de réanimation, la fatigue des soignants…
- ...et le foyer comme premier nid à virus ! S’exclame
Salmonelle, tout content de sa trouvaille.
Les autres le regardent, affligés.
- Et c’est pour ça que vous voulez les confiner ensemble ?
Tout le monde rigole. Pas le général. Pas le président, qui
a repoussé sa chaise.
Castorex se frotte alors les mains en se levant :
- Bon. Comme d’habitude, je me charge de briefer les médias.
Mot d’ordre : le virus tue de plus en plus.
- C’est bien ce que je disais, non? s’offusque Salmonelle.
- Mais il va falloir trouver des gusses pour monter au front. Poursuit
Castorex. C’est que les toubibs commencent à renâcler eux aussi, et même nos
députés…
9h55. Le président soudain devient livide. Il fusille son
Premier Sinistre du regard et quitte la salle sans un mot.
- Ben, qu’est-ce qu’il a ?
- Il est contrarié.
- Ben oui, mais c’est la vérité : on est dans la merde
jusqu’au cou.
- Et vous, mon général, pourquoi vous ne dites jamais rien ?
Richard
A propos du conseil de défense :
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-comment-fonctionne-le-conseil-de-defense-et-de-securite-qui-se-reunit-a-nouveau-aujourd-hui_4177109.html