mercredi 12 juillet 2017

La comédie du pouvoir - 10. Populisme à tous les étages

Dans un régime peu ou prou démocratique, le débat politique n’échappe pas au populisme. Eh ! N’est-on pas obligé de s’adresser au peuple, si l’on veut être élu ? On appelle pourtant péjorativement populisme ce souci des choses triviales qui intéressent directement la vie quotidienne des gens : manger, habiter, travailler, se faire soigner, mettre des sous de côté, se payer du bon temps, se sentir protégé et heureux. Le populisme consiste donc à proposer une réponse aux attentes les plus prosaïques, aux besoins les plus essentiels des gens du peuple.

Et alors, c’est mal ? Euh... Ben, c’est l’excès qui est… trompeur - n'est-ce pas. Parce que, voyez-vous, le principe de réalité - il y a en effet des intérêts supérieurs ! - nous apprend que promettre ce qui fait plaisir aux gens est forcément un mensonge (c’est dire à quel point le bonheur nous est inaccessible !).
Seuls les extrémistes promettent le Grand Soir, la sortie de l’Euro ou le SMIC à 1700 euros. Seuls les rêveurs y croient. Les grands partis autoproclamés « de gouvernement », dont on prédit en ce moment la mort, quant à eux ne sont pas populistes, mais sérieux et honnêtes, puisqu’ils font de la Realpolitik en servant les fameux intérêts supérieurs (des riches ?) qui tôt ou tard, nous dit-on, feront pleuvoir de l’or sur le peuple finalement ébahi et reconnaissant.

Bien. Macron va peut-être avoir la peau de ces partis-là, mais a-t-il vraiment changé la façon de faire de la politique ? Mais bien sûr, car lui fait dans le populisme... à 100%. Laissons de côté les photos glamour de Paris-Match, la garde-robe de mamie Brigitte, les révélations intimes, tout ce battage médiatique « pipol » à deux balles pour nous intéresser au fond. Et le fond, c’est que le programme "En Marche" était du pur populisme, à trois cibles :
cible de catégorie 1. le peuple qui gravite autour de l’argent dans le monde des affaires, milliardaires, patrons, bourgeois, entrepreneurs et cadres supérieurs, conservateurs convaincus qu’ils sont l’élite de la Nation et donc légitimés à la gouverner et à en tirer un max de profit ;
catégorie 2. le peuple de la classe moyenne qui, ayant eu accès à des biens et à un train de vie qu’il croit devoir à son labeur plutôt qu’aux nécessités de la société capitaliste de consommation, craint d’en perdre des miettes ;
catégorie 3. (du bout des lèvres, en se pinçant le nez) le peuple des smicards, chômeurs, zonards, « ouvrières analphabètes » et autres plébéiens, considéré comme un tas de bons à rien qui n’aspirent qu’à vivre de l’aide sociale.

Si, si, outre que ça se lit entre les lignes de son programme, Macron l’a redit : « Dans une gare, vous croisez des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. » Voilà sa vision de la vie et de la société. Il est content de lui, c’est sûr : il se compte parmi ceux qui ont réussi. C’est également un coup de brosse à reluire pour ceux qui, comme lui, pensent avoir réussi, les peuples de catégorie 1 et 2. Ca rappelle la célèbre formule de Séguéla, le cuistre de la pub : « Si t’as pas une Rollex à cinquante ans, tu as raté ta vie. » Le pauvre Séguéla, trop imbu de sa personne pour être un bon vendeur de soi-même, plaçait la barre trop haut : excluant de la réussite bien trop de gens ayant honnêtement gagné leur vie, il avait dû s’excuser (c’est comme ça désormais : on s’excuse soi-même, ou on se dit désolé, ça dispense de demander pardon). Macron a été moins con, il a visé large, mais guère plus subtil, avec son programme « demain, on rase gratis ». Pourtant, le gogo a mordu à l’hameçon.

Malheureusement, Macron, c’est plus fort que lui, toujours transparaît son mépris pour le peuple de catégorie 3, « des gens qui ne sont rien ». Cruel, n’est-ce pas ? Eh ben oui, il est comme ça, notre monarque. N’écrivait-il pas dans son programme : «  […] pour encourager l’embauche des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville. […] une entreprise qui recrutera en CDI un habitant de l’un de ces quartiers bénéficiera d’une prime de 15 000 euros sur 3 ans : c’est comme si elle ne payait plus de charges ! » 5000 euros annuels de charges patronales ? Il n’est pas cher payé, le prioritaire ; avec ça, on ne va tout de même pas prétendre qu’il a réussi - hein ? Macron d’ailleurs ne le dit pas non plus. « Mieux vaut Uber que dealer » c’est de lui aussi. Petite réussite ou réussite par défaut, pas trop d’ambition, le SMIC, ou moins si possible, pour ces gens-là, c’est largement suffisant. Qu’ils se tiennent donc à leur place. Sacré Macron, va, on le refera pas : l’aime pas les pauv's, i’ va pas forcer sa nature, non plus. Jamais de la vie il ne s’excusera d’avoir traité « les plus modestes » de riens, quantité négligeable sans influence autre que d’être un poids pour les autres, et surtout pour le peuple de catégorie 2 qui se voit comme le cœur, le moteur de la société.

En réalité, les mesures que Macron promettait pour protéger « les plus modestes » n’étaient que des emplâtres sur une jambe de bois, exactement la même politique d’assistanat que ses prédécesseurs et qu’il dénonçait, absolument rien de structurel ; il n’y croyait pas lui-même. Exemple : « Tous les smicards (sic) qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire. » (mais ce n’est qu’un exemple, ça peut être moins) En réalité, Macron s’adressait surtout à la classe moyenne des fourmis travailleuses, leur désignant, en bon populiste qu’il est, un bouc émissaire : ce fainéant de pauvre qui profite d’un système injuste - car ce système met à égalité de traitement la fourmi et la cigale. Citations du programme « En Marche » : « L’insuffisance des efforts de recherche d’emploi ou le refus d’offres raisonnables entraîneront la suspension des allocations / Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites. Avec un principe d’égalité : pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous ! (on ne sait pas encore ce que ça veut dire, mais ça va faire mal) / La lutte contre la fraude aux prestations sociales sera amplifiée / Nous ferons la transparence sur l’attribution des logements sociaux » Quelle avalanche de sous-entendus, hein !

Mais aujourd’hui qu’ils sont aux manettes, le président et le gouvernement « En Marche » ne se donnent même plus la peine du populisme. Il n’y a qu’à voir le nombre de mesures édulcorées ou reportées. La nouvelle poussée de fièvre populiste sera pour la veille des prochaines élections.  
D’ici là, le dealer de vingt-cinq ans qui se paie une Rollex pourra considérer qu’il a réussi. Parce qu’en plus, être un hors-la-loi, ce n’est pas être rien. Pas vrai ?

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