JOUER
Bon. La rentrée en mode déconfinement approchant, chacun se rend davantage et mieux compte que n'a aucune solution l'équation qui voudrait qu'on enseigne les élèves avec profit tout en les fliquant pour les gestes de protection (barrières ! je n'arrive pas à me mettre dans la tête ce mot-là), aucune solution tant qu'on reste dans des locaux soudain devenus exigus, à moins qu'on ait pour ambition de ne faire que de la garderie, et encore, ce qui néanmoins ne serait pas si mal.
Bon. A moins aussi qu'on se réinvente, comme dit si souvent le président Macron. Je peux être d'accord avec lui sur le mot, mais pas avec l'a-sens qu'il lui donne en ne nous expliquant pas comment lui-même compte se réinventer. Mais alors, quand il nous prie si gentiment de le faire, veut-il signifier que nous sommes en panne d'intelligence ou en train de dormir, bercés par le train-train des réformes du code du travail et du système des retraites, par le bradage des entreprises nationales et la paupérisation des services publics ? Il ne l'a pas dit. Peut-être qu'il ne sait pas. Je vais donc l'aider. Se réinventer, ça pourrait être regarder le monde par l'autre bout de la lorgnette, en descendant de son nuage, en soulevant le tapis, en bougeant les meubles, de biais en louchant, ou écouter la rumeur des banlieues et des campagnes, la clameur qui monte des ronds-points. Se réinventer ne se fait pas qu'en temps de crise, mais en permanence. A peine une conviction est acquise, il faut déjà et à nouveau la soumettre à l'épreuve de la réalité, en permanence s'autoriser le doute. .
Bon. Je me réinvente. J'ouvre la barrière des règles, celle que j'ai par routine intériorisée, et je me laisse aller, imaginant un contre-pied de ce qu'on attend de moi. Je suis en exercice. Si le problème des gestes barrière est insoluble dans une salle de classe, le serait-il encore dans une salle des fêtes ou dans un gymnase ? Non. Mais puisque le soleil brille, j'emmène mes quinze élèves, chacun le casse-croûte, la bouteille d'eau et quelques feuilles de papier toilettes dans le sac à dos, avec son calepin, son crayon, son téléphone portable pour faire des photos et des recherches sur Internet ; je les emmène dans les prés, dans les bois, au bord du ruisseau où en ce moment la vie se manifeste dans toute sa puissance, et on se fait tous ensemble (à autant de mètres qu'on veut les uns des autres) une journée de leçons joyeuses. N'y a-t-il pas suffisamment d'espace à l'entour du village pour respecter l'affreuse, insupportable distanciation sociale ?
Bon. Le sujet de ce jour m'est venu d'un témoignage entendu à la radio que Francine m'a répété : "Faire respecter les règles dans la classe sera difficile, et plus difficile encore pendant la récréation. Il va falloir inventer des jeux qui ne demandent pas qu'on se touche." Je me suis pensé "Tu n'as qu'à supprimer la récré !" Mais non, je blague ; et je suis injuste, j'en conviens ; cela m'est bien facile d'ironiser de chez moi, sachant que je n'aurai pas à gérer la classe dans ces conditions insensées.
J'ai tout de même trouvé un peu gênante cette interrogation publique sur la difficulté à trouver des jeux de cour. D'abord, je n'aime pas qu'on se plaigne. Oui, les enfants sont bruyants, inattentifs, désobéissants, étourdis, fatigués le vendredi par la semaine de classe et fatigués le lundi d'un weekend débridé avec leurs parents... Mais ça fait partie du boulot. Ensuite, il me semble que la capacité, ou plus exactement la volonté, le désir, d'invention fait aussi partie du boulot, est une des aptitudes professionnelles de l'enseignant. Et enfin, des catalogues de jeux, ce n'est pas ce qui manque... non ?
Bon. D'accord, des jeux d'enfants qui ne demandent pas qu'on se touche, il ne doit pas y en avoir beaucoup. Ou alors qui ressemblent un peu à l'école pendant un cours... Quelle galère !
Le sujet d'aujourd'hui m'a été inspiré aussi par une trouvaille que j'ai faite en mettant de l'ordre dans mes affaires. Il s'agit d'un vieux film que j'ai réalisé en 1999 avec les élèves de ma classe. L'idée m'en était venue des discussions que j'ai eues - et que nous poursuivons encore - avec mon vieux prof de philo, Jean-Paul Sorg. J'ai appris beaucoup de lui, et en particulier, pour le sujet qui nous occupe, une chose qu'à l'époque je n'avais pas su analyser, à savoir qu'il existait une culture enfantine, au sens du bien commun à une population, qui se transmettait de génération en génération, indépendamment de celle de leurs parents et des adultes en général. Il parlait déjà au passé, d'un temps quand les enfants, toutes tranches d'âges mêlées, organisaient leurs loisirs ensemble, hors de vue des parents et des maîtres. Pour m'en convaincre à nouveau, il me suffit de me remémorer notre bande de copains, courant la campagne ou jouant avec les filles de la rue, et comment le petit citadin que j'étais avait appris d'eux, des plus âgés, les jeux, les chansons, les techniques du bois et du feu, les mots qui servaient à désigner les choses de notre univers, que leurs propres aînés leur avaient transmis.
Le sujet d'aujourd'hui m'a été inspiré aussi par une trouvaille que j'ai faite en mettant de l'ordre dans mes affaires. Il s'agit d'un vieux film que j'ai réalisé en 1999 avec les élèves de ma classe. L'idée m'en était venue des discussions que j'ai eues - et que nous poursuivons encore - avec mon vieux prof de philo, Jean-Paul Sorg. J'ai appris beaucoup de lui, et en particulier, pour le sujet qui nous occupe, une chose qu'à l'époque je n'avais pas su analyser, à savoir qu'il existait une culture enfantine, au sens du bien commun à une population, qui se transmettait de génération en génération, indépendamment de celle de leurs parents et des adultes en général. Il parlait déjà au passé, d'un temps quand les enfants, toutes tranches d'âges mêlées, organisaient leurs loisirs ensemble, hors de vue des parents et des maîtres. Pour m'en convaincre à nouveau, il me suffit de me remémorer notre bande de copains, courant la campagne ou jouant avec les filles de la rue, et comment le petit citadin que j'étais avait appris d'eux, des plus âgés, les jeux, les chansons, les techniques du bois et du feu, les mots qui servaient à désigner les choses de notre univers, que leurs propres aînés leur avaient transmis.
Bon. J'ai entrepris ce film - vite fait et non achevé - avec la complicité de mes élèves de grande section de maternelle. C'est un inventaire illustré des jeux d'enfants dont je pensais qu'ils allaient bientôt complètement tomber à l'oubli. Qu'en est-il aujourd'hui, en 2020 ?
Amies, amis, à demain.
Le film est ici : https://youtu.be/12E9WJtYaVs
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