mardi 5 mai 2020

Journal de déconfinement – jour 49

EFFET PLACEBO

Le Dr Stéphane Lolignier, maître de conférences à la Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand, au laboratoire de pharmacologie médicale, a réagi à RANDOMISATION, ma page d'hier. 
Je vous fais part de l'échange.

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"Quelques précisions, que je trouve importantes, par rapport à ton dernier mail. 
- La randomisation permet de s'assurer que les groupes sont homogènes en terme d'âge, de sexe, de comorbidité, etc... Par exemple, pour le cas du Covid qui nous intéresse, on sait maintenant que les femmes et les jeunes sont moins à risque. Si on donne un médicament A à un groupe qui contient 70% de femmes et un médicament B à un groupe qui en contient 50%, on pourra voir une amélioration du pronostic dans le groupe A et penser, à tord, que l'on a affaire à un médicament efficace. C'est ce qu'on appelle un biais expérimental. La randomisation permet d'éviter cela au maximum.
- L'effet placebo est hyper important, quel que soit le domaine d'étude. Dans mon domaine, la douleur, il est particulièrement puissant et peut représenter jusqu'à 70% de l'effet d'un médicament. Ce n'est pas de la magie, ce sont des phénomènes biologiques bien concrets que l'on peut observer, mesurer, et même bloquer (mais pour soigner l'idée est plutôt de maximiser l'effet placebo). On sait aussi que certains facteurs favorisent l'effet placebo (petite pilule plutôt que grosse pilule, médecin en blouse blanche plutôt qu'en pull, hôpital plutôt que cabinet de généraliste, etc...). Il y a des études vraiment passionnantes sur le sujet. Bref, tout ça pour dire que si l'on teste un médicament anti-douleur sans le comparer à un groupe placebo, on lui trouvera quasi-systématiquement un effet positif, et cela même si le médicament n'a pas la moindre efficacité intrinsèque. Le risque c'est donc de mettre sur le marché un médicament, avec comme tous les médicaments une toxicité et des effets indésirables potentiels, mais sans aucun bénéfice thérapeutique.
- Autre chose d'hyper important à comprendre, c'est que placebo ne veut pas dire “pas de traitement”. Quand une personne se porte volontaire pour une étude clinique, elle doit bénéficier au minimum du traitement qui lui serait donné en dehors de l'essai clinique. Par exemple, si on fait une étude pour un traitement contre un type de cancer, les patients auront soit le traitement expérimental, soit le traitement de référence. Comme c'est dit dans ton mail, on a l'impression qu'on laisse volontairement des gens mourir dans un groupe quand on soigne les gens dans l'autre. Ce n'est pas ça du tout : on fournit les soins de référence dans un groupe pendant que dans l'autre groupe, on essaie quelque chose de nouveau qui pourra être mieux, pareil, ou pire que le traitement classique. Si on fait l'essai c'est justement que l'on ne le sait pas. Pour le cas du Covid, les patients des groupes contrôle n'auront pas de traitement curatif puisqu'il n'en existe pas. Ils auront par contre les traitements symptomatiques que l'on donne à tout le monde à l’hôpital, et n'auront pas moins de chances de s'en sortir que les autres.
- Enfin, lorsque l'on fait une étude clinique, il est obligatoire d'expliquer au patient en quoi consiste l'étude et d'avoir son consentement (ou celui de la famille dans le cas particulier d'un essai en réanimation si le patient est inconscient). C'est justement l'un des nombreux reproches qui ont été faits à Raoult : avoir fait un essai clinique sauvage sans faire signer aucun formulaire de consentement. Mais bon, on entend beaucoup moins ses “supporters” parler de lui depuis qu'il passe son temps entre BFMTV ou chez Paris Match pour lécher le cul de Macron. A la limite ça le regarde, mais j'aurais préféré qu'on s'intéresse plus au contenu de ses travaux qu'à sa vie publique ou privée. Ca aurait permis d'avancer plus vite sur d'autres pistes.
- Concernant les autres pistes d'ailleurs, et l'étude Discovery en particulier (ne pas oublier qu'il y en a d'autres, l'histoire récente nous montre à quel point on est vite déçu quand on a mis tous ses oeufs dans le même panier), s'ils avaient eu des résultats préliminaires incroyables, on le saurait déjà. Les résultats de l'étude Discovery seront publiés, il ne faut pas en douter, mais malheureusement il ne faut s'attendre à aucun miracle. Au mieux on aura quelque chose du type Remdesivir, à savoir une amélioration qui va à peine justifier une utilisation large en clinique. Pour le moment ça parait être une infection particulièrement difficile à soigner, en tout cas avec les outils dont on dispose. On verra ce que donne par exemple le Tocilizumab (et d'autres immunosuppresseurs en cours d'essai). Mais pour l'instant les résultats définitifs ne sont pas connus. Au passage, l'étude Discovery n'est pas l'idée de Macron :) Je veux bien qu'on mélange science, médecine et politique en ce moment mais faut pas déconner, chacun son métier ! On a vu outre-atlantique ce que ça donne quand les idées viennent du premier de cordée."

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Je m'explique :
"Je mettrai d'abord de côté la personnalité de Raoult. Chacun la sienne : Gainsbourg écrivait de belles chansons, mais il pouvait être très con (résumé de mon opinion). Je trouve simplement l'approche du médecin plus adaptée que celle du chercheur en cette circonstance. 
Ensuite, même si je grossis toujours le trait, je n'accuse pas les médecins chercheurs de laisser les gens mourir, mais de ne pas leur donner des chances égales. Si on pense que tel traitement doit faire effet, c'est qu'on a des raisons, alors on le donne et on voit tout de suite si ça marche ou pas, avec ou sans l'effet placebo additionnel, en particulier s'il s'agit d'une pathologie grave. Ca me paraît le bon sens.
A cet égard, il ne me semble pas que Raoult ait parlé d'avoir réalisé une étude. Ou alors, j'ai raté... Il a juste publié les résultats d'un traitement sur un certain nombre de malades. Quand par exemple un cardiologue prescrit un traitement contre l'hypertension, il ne fait pas signer un papier...
Enfin, pour Macron, c'était de la malice, une blague, évidemment."
 
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 Il répond.
"On est d'accord sur Raoult, comme sur Gainsbourg d'ailleurs !
Je comprends l'envie que l'on peut avoir de donner les mêmes chances (ou malchances !) à tout le monde d'un coup dès qu'une nouvelle piste est explorée. Mais si l'on part de ce principe selon lequel toute nouvelle piste thérapeutique est forcément efficace et sans danger, et qu'il faut en faire profiter tout le monde tout de suite, alors pourquoi même réaliser un essai clinique et ne le réserver qu'à un petit groupe de volontaires ? Autant le mettre sur le marché directement pour que tout le monde en profite, non ? Quand on débute un essai clinique, tu as raison, on a toujours de bonnes raisons de croire à nos hypothèses. Mais dans les faits, moins de 1% des nouveaux médicaments qui fond l'objet d'un protocole clinique finissent sur le marché (et je ne te raconte pas le tri qui est fait en amont grâce aux tests in vitro puis in vivo chez l'animal). Il y a un nombre infini de choses qui restent imprévisibles quand on donne un nouveau médicament, ou même un ancien mais dans un contexte pathologique nouveau, à une dose nouvelle, ou en association avec une autre molécule. Et encore une fois, quand on fait un essai clinique, la seule façon d'isoler l'effet placebo pour savoir si le médicament apporte un réel avantage, c'est bien d'avoir un groupe placebo (ou comme la plupart du temps un groupe contrôle qui reçoit le médicament de référence, et qui intégrera donc l'effet placebo en plus de l'effet thérapeutique).
Pour que tu comprennes les enjeux qu'il y a derrière tout ça, une petite mise en situation : je suis un industriel et je travail depuis 10 ans sur un nouvel antidépresseur. J'ai déjà dépensé des centaines de millions d'euros pour son développement, mais les derniers résultats obtenus chez la souris ne sont pas du tout encourageants, loin de là. Si j'abandonne le projet les actionnaires ne vont pas être contents... Et adieu ma promotion ! Mais si je fais une étude clinique sans groupe contrôle, ma molécule va avoir un effet incroyable (merci l'effet placébo, qui dans ce cas constituera 100% de l'effet observé), et hop, une mise sur le marché obtenue les yeux fermés et des milliards de retour sur investissement. Si ça a pu être possible par le passé, heureusement ça ne l'est plus en France. Je grossis moi aussi le trait, et je me place volontairement de côté des "méchants", mais c'est vraiment ce qui a pu se passer maintes fois par le passé, et c'est à cause (ou grâce) à ça que l'on a maintenant des règles strictes.
Quant à Raoult, il a bien réalisé une étude puisqu'il a prescrit une association de médicaments hors AMM (autorisation de mise sur le marché). C'est parfaitement autorisé, mais ça doit être déclaré, notamment au comité de protection des personnes, et c'est considéré comme une étude. Mais bon je ne m'inquiète aucunement pour lui, il va se faire gronder mais il fait partie des intouchables. Et ton cardiologue, lui comme Raoult, n'a aucune obligation de te faire signer un formulaire de consentement s'il te prescrit un antihypertenseur dans le cadre de son AMM. S'il s'agit d'un médicament expérimental, alors c'est obligatoire.
Il est quand même bien “malicieux” notre ami Raoult pour téléphoner à la première dame, recevoir le président à l'IHU et en faire l'éloge dans plusieurs médias de première qualité journalistique. Sacré farceur... Plus c'est gros, plus ça passe, décidément."

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De cet échange, je retiens en particulier que "L'effet placebo est hyper important, quel que soit le domaine d'étude. Dans mon domaine, la douleur, il est particulièrement puissant et peut représenter jusqu'à 70% de l'effet d'un médicament. Ce n'est pas de la magie, ce sont des phénomènes biologiques bien concrets que l'on peut observer, mesurer, et même bloquer (mais pour soigner l'idée est plutôt de maximiser l'effet placebo)." 

Ce phénomène ne devrait-il pas interpeller les gens qui se gaussent un peu vite des médecines anciennes tels que le chamanisme, la phytothérapie ou le magnétisme des rebouteux ?
Voici un point de départ, si l'on veut s'intéresser au sujet : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/planete-geo/l-importance-des-medecines-ancestrales_1765367.html

Amies, amis, à demain.

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