mercredi 25 avril 2018

« Schéi kleng as och schéin », éloge de la petitesse et de la diversité.

J’applique cette sentence à la dimension des états : « Petit, c’est bien aussi » ; et j’ajoute c’est même mieux.
(C’est copié sur le dicton luxembourgeois « Schéi kromm as och schéin » : « quand c’est de travers, c’est beau aussi », ce qui signifie (peut-être) que le raté ou l’exception ont autant de valeur que la perfection ou la norme.)

Les Luxembourgeois ne sont-ils pas des gens sages ? Ils nomment leur propre pays « Ländchen », c'est-à-dire le petit pays. Je ne crois pas qu’ils aient jamais désiré agrandir leur territoire en envahissant leurs voisins. (Trop petits ? Ben oui, si tous les états étaient petits…) En témoigne leur devise, « Mir wëllen bleiwen wat mir sinn », « nous voulons rester ce que nous sommes », c’est-à-dire petits, entre nous, et indépendants.
(Les Luxembourgeois n’aiment pas plus les Français que les Allemands, c’est historique, mais ils ne les détestent pas non plus.)

Les Luxembourgeois ne sont-ils pas des gens intelligents, ou plutôt madrés, comme des paysans ? C’est ainsi qu’ils ont choisi, après la mort de la sidérurgie, de devenir un paradis fiscal… qui abriterait les pauvres entreprises et particuliers dont la richesse fait l’objet de persécutions fiscales dans les autres pays d’Europe. Qu’à cette époque, les gouvernements des autres pays d’Europe aient laissé faire prouve naturellement leur complicité.

Moyennant quoi, les Luxembourgeois vivent peut-être mieux que leurs voisins. Il y a des avantages à vivre dans un petit pays.

En France, grand pays, des Bretons, des Corses, des Basques naguère revendiquaient l’autonomie de leur région, voire leur indépendance ; eux aussi se voulaient petits. Beaucoup d’Alsaciens aspirent à quitter le Grand-Est pour former une région unique avec davantage de compétences, mais ils n’osent toujours pas dire qu’ils n’aiment pas La-France, trop jacobine, soumise au pouvoir absolu élyséen, intolérante à l’égard des cultures régionales - ils sont pourtant moins radicaux que les séparatistes majoritaires en Catalogne et en Lombardie !

Oui, le verdict est sorti des urnes : les séparatistes sont majoritaires. Mais les états espagnol et italien ne les entendent pas : Quand le gouvernement oppose un refus de référendum ou envoie carrément l’armée des gendarmes avec les matraques et les gaz pour « frapper son peuple », on comprend que la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes n’existe pas.

Vous allez me dire que les régionalistes ne sont que des égoïstes qui ne veulent pas partager leur richesse avec les autres. Quand bien même ! Il y a des raisons bien plus fondamentales : le sentiment d’appartenance à une culture commune ; le sentiment que cette culture est incomprise, bafouée, menacée ; le rejet du centralisme, du pouvoir lointain, de l’autoritarisme ; le désir enfin d’une démocratie plus conforme à l’idée qu’on s’en fait, plus réactive, plus proche du peuple, dont le peuple est réellement le maître.

Quant à La-France, elle serait une et indivisible : la même loi sur tout le territoire et pour tous les citoyens - pas une oreille qui dépasse. Pourtant, en Moselle, comme en Alsace, nous avons des lois particulières, et qui nous conviennent très bien. Et puis il y a l’Outre-Mer, la Nouvelle Calédonie en particulier, avec des statuts variés, des prérogatives qui ne s’appliquent pas en métropole. La République une et indivisible est donc une illusion ; la République peut tout à fait transiger, admettre la division…

(Notre Cinquième République et son actuel président des riches entretiennent même la division, sur un plan différent : les capitalistes n’affirment-ils pas que « Il n’y a pas de travail sans capital. » ? Ce qui à leurs yeux justifie que le travailleur soit traité en esclave du capital. La formulation conforme à la réalité est plutôt : « Sans capital, le travail ne serait pas un esclavage et sans cet esclavage, il n’y aurait pas de capital. » La majorité des travailleurs ne le savent pas, ils se laissent assujettir et tondre sans protester.)

Revenons à nos moutons. Qu’est-ce que ça ferait donc à l’Espagne, à l’Italie, à La-France de laisser quelques régions s’émanciper ? Qu’est-ce que ça ferait à l’Europe si quelques pays s’en détachaient ? Rien, parce que l’Espagne, l’Italie, La-France, sont en grande partie des constructions de l’esprit qui ne peuvent donc pas répondre à une question. Ceux qui répondent aux questions, ce sont des humains, les gouvernements, les peuples, les électeurs, les individus.

Alors qu’est-ce que ça ferait donc aux individus espagnols, italiens et français restants de ne plus compter dans leurs rangs des Catalans, des Lombards et des Néo-Calédoniens ? Qu’est-ce que ça nous a fait, à nous, Français, que les Britanniques aient quitté l’Europe ? Rien non plus, parce que Français, Espagnol, Italien, Britannique, sont également des constructions de l’esprit. Pour preuve : un Macron ou un Bernard Arnault, français tous deux, ne verront pas leur francité de la même manière qu’un Philippot ou un Depardieu qui ne la verront pas comme un Cégétiste, un cheminot ou un salarié de Carrefour, sans parler, dans le contexte actuel, d’un musulman ou d’un juif, tous également citoyens français.

Alors, pourquoi ne pas laisser jouer la démocratie jusqu’au bout ? Laisser morceler ces empires qui, tous ! se sont construits par les armes et parfois des génocides, et ne tirent donc leur légitimité que de la loi du plus fort. Alors pourquoi les gouvernements empêchent-t-ils, encore par les armes, toute émancipation ? Pour quels intérêts nous refusent-ils de revenir à des entités petites, dans lesquelles on se connaîtrait mieux, on se reconnaîtrait, librement, de la même culture, du même peuple, de la même fratrie ? Voilà : Fraternité ! Le joli mot, voilà le mot-clé, qui n’a cependant aucun sens dans le jeu politique français.

Admettons que la Corse, après referendum, réclame son indépendance et l’obtienne finalement après avoir résisté aux gardes mobiles et à l’armée française. Est-ce que ça ferait une différence pour les Mosellans ? Bof. Et peut-être que pour les corses ça ne changerait pas grand-chose non plus. Ils n’auraient plus de subventions de l’état français, ni de l’Europe, mais ils ne leur payeraient plus d’impôts. Ils seraient en plein dans le circuit court. Mais ils auraient aussi des relations économiques avec d’autres pays, directement avec la Chine, peut-être, ou l’Afrique. Ils se feraient une petite constitution à leur main et s’inventeraient un pays neuf, plus libre, plus égalitaire, plus fraternel, plus démocratique.

Et nous, on pourrait tranquillement continuer de passer des vacances en Corse. Et on se dirait : ils vivent bien, ces Corses, ils sont intelligents. Faisons comme eux. Et de citoyens et travailleurs français, nous deviendrions citoyens et travailleurs de Moselle. Peut-être même qu’on couperait la Moselle en petits bouts : la partie nord-est retournerait avec l’Alsace, le sud resterait avec Metz et la région des trois frontières se la jouerait perso... On pourrait croiser le président 3F et ses ministres faisant leur marché le samedi matin à Thionville et ils sauraient que le peuple les a à l’oeil. Ca ferait des envieux, et boule de neige, en Europe.

« Mais, monsieur, l’Union Européenne serait foutue ! » Justement, ce serait l’occasion de construire une Europe fédérale qui respecterait les choix de chaque petit peuple. Car l’Europe libérale peut très bien se défaire, le Brexit en est la preuve. La France jacobine aussi peut changer. Mais pour ça, il faut aller voter. Et d’abord manifester et faire grève, avec les camarades.


3 commentaires:

  1. C'est tout le problème de la démocratie qui donne le pouvoir à un parti majoritaire ou, à défaut, à une coalition de partis minoritaires. Ceux qui n'ont pas le pouvoir, les minorités, se sentent floués et n'ont qu'un moyen pour faire passer leurs objectifs que l'autonomie ou l'indépendance.
    Ainsi, les minorités ont tendance à se recroqueviller sur elle-même, entre personnes partageant des idées semblables pour se conforter mutuellement dans leurs opinions.
    Cela va pour les minorités ethniques, religieuses, politiques ... Ce faisant, ces petits groupes peuvent être manipulés et devenir des cibles , voire des victimes pour des meneurs plus ou moins bien intentionnés. Alain

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    1. Je voulais dire que la démocratie s'accommode mal d'un cadre gigantesque, et que si les libertés individuelles ont un sens, alors la liberté de se déterminer en tant que groupe, si petit soit-il, doit également être acceptée, et que le morcellement politique n'est pas antinomique de l'universalisme. Au contraire. Mais bien sûr, nous (l'humanité) n'allons pas du tout dans cette direction.

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  2. Et pour une simple raison: la prolifération de l'espèce humaine qui induit des guerres, la famine, la pollution, la disparition d'espèces animales et végétales et, aussi, l'obsolescence de la démocratie, impossible à appliquer dans des sociétés de dizaines de millions d'individus. Alors, c'est le retour de la loi du plus fort, de la minorité qui a l'arme, le pouvoir. Et cette minorité doit convaincre la majorité silencieuse que c'est ça la démocratie, grâce, notamment, aux élections avec leur deuxième tour bidonné.
    Alain

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