samedi 23 septembre 2017

L’école malade de la logique de marché - 1. La nécessité de bouger.

Il y a quelques années, j’ai tenu un blog sur l’école pendant des mois. Puis, je l’ai fermé, je croyais avoir tout vu et tout dit. Mais non. La logique du commerce ne cesse jamais : du moment que quelque chose existe, est mis sur le marché, c’est forcément bien, et vite, vite il faut l’utiliser.

Premier exemple : la recherche. Elle coûte, elle doit donc rapporter. Le chercheur est donc a priori condamné à trouver. Mais s’il ne trouve pas, ce n’est pas si grave, il n’a qu’à recycler de vieilles idées et les mettre sur le marché. Le gouvernement français sera content - comme dit toujours Macron : « il faut bouger ». Si ça bouge, le peuple aura l’impression qu’il se passe quelque chose. L’important, c’est précisément cette illusion.

L’autre soir, aux infos : reportage sur un chercheur en neuro-quelque-chose qui vient d’inventer une nouvelle pédagogie qu’on nous présente déjà presque comme révolutionnaire, ou au moins comme « un grand espoir », la solution aux difficultés d’apprentissage. Evidemment, ça m’intéresse. Mais en vérité, comme je m’y attendais, je me suis bien marré, enfin, j’ai plutôt ri jaune.

En effet, figurez-vous que ce type a collé des capteurs sur le crâne de cobayes humains tandis qu’ils effectuaient une tâche ou écoutaient un professeur. Et ce type-là a vu sur son écran d’ordinateur des zones du cerveau qui s’allument quand elles chauffent. Et après avoir collecté un tas de résultats de ce genre, la science statistique lui a permis de conclure que l’inattention était une des causes des difficultés de l’apprentissage (dans le cerveau, ça court-circuite la concentration, voyez vous). Mazette ! Quelle découverte ! Et de nous expliquer, le plus sérieusement du monde, qu’il va montrer aux élèves comment être attentifs à leur inattention ; on ne comprend même pas le rapport avec les lampes du cerveau. A l’évidence, c’est du vent, du foutage de gueule absolu.

Mais c’est après qu’on hallucine vraiment car on voit là une institutrice (professeure des écoles) nous expliquer que le mieux pour apprendre à lire, c’est d’abord d’apprendre à entendre des sons, puis de les associer à des graphies, puis seulement d’aborder la lecture. Outre le fait qu’il y a belle lurette que l’acte de lire a été décortiqué au scalpel et qu’on en connaît tous les mécanismes, requis, pré-requis, tenants et aboutissants, la démarche proposée est autant caricaturale qu’erronée. Je sais de quoi je parle, j’ai « enseigné » (*) la lecture pendant quarante ans.

Mais à intervalles réguliers (disons tous les six mois), on nous sort comme ça une martingale pédagogique, souvent pour l’apprentissage de la lecture, sans doute parce que celui-ci cristallise une part importante des mécontentements. Il ne s’agit en fait que d’une mascarade médiatique destinée à rassurer momentanément, tout en masquant le vide abyssal où devraient normalement apparaître des solutions. Je vois là le complet désarroi dans lequel se trouvent les enseignants, les syndicats, les chercheurs, l’institution entière, et les penseurs, et les parents, face à l’échec patent de l’école dans sa mission proclamée de réduction des inégalités sociales et dans son incapacité à donner à tous les élèves l’accès aux outils cognitifs qui les feraient comprendre le monde et un peu maîtriser leur vie.

Ca me rappelle l’introduction en 1973 des maths modernes et de la lecture globale, pour le résultat catastrophique que l’on sait. Les professeurs Tournesol qui depuis ont moisi au CNRS, section sciences de l’éducation, sont toujours sur la brèche et c’est épaulés par les nouveaux idolâtres de la science numérico-électrico-statistique qu’ils nous pondent encore régulièrement de soi-disant nouvelles recettes pédagogiques qui fonctionnent aussi bien qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Le pire, c’est que nous ne sommes pas capables de voir la supercherie, encore moins de résister.

Eh ben, tant que ça fonctionne, ils auraient tort de se priver, pas vrai ?

Ho ! Je vous cause.

(*) Je vous expliquerai les guillemets une autre fois.


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