Il y a quelques années, j’ai tenu un blog sur l’école
pendant des mois. Puis, je l’ai fermé, je croyais avoir tout vu et tout dit.
Mais non. La logique du commerce ne cesse jamais : du moment que quelque
chose existe, est mis sur le marché, c’est forcément bien, et vite, vite il
faut l’utiliser.
Premier exemple : la recherche. Elle coûte, elle doit
donc rapporter. Le chercheur est donc a priori condamné à trouver. Mais s’il ne
trouve pas, ce n’est pas si grave, il n’a qu’à recycler de vieilles idées et les mettre sur le marché. Le
gouvernement français sera content - comme dit toujours Macron : « il
faut bouger ». Si ça bouge, le peuple aura l’impression qu’il se passe
quelque chose. L’important, c’est précisément cette illusion.
L’autre soir, aux infos : reportage sur un chercheur en
neuro-quelque-chose qui vient d’inventer une nouvelle pédagogie qu’on nous présente
déjà presque comme révolutionnaire, ou au moins comme « un grand espoir »,
la solution aux difficultés d’apprentissage. Evidemment, ça m’intéresse. Mais
en vérité, comme je m’y attendais, je me suis bien marré, enfin, j’ai plutôt ri
jaune.
En effet, figurez-vous que ce type a collé des capteurs sur
le crâne de cobayes humains tandis qu’ils effectuaient une tâche ou écoutaient un
professeur. Et ce type-là a vu sur son écran d’ordinateur des zones du cerveau
qui s’allument quand elles chauffent. Et après avoir collecté un tas de
résultats de ce genre, la science statistique lui a permis de conclure que l’inattention
était une des causes des difficultés de l’apprentissage (dans le cerveau, ça court-circuite la concentration, voyez vous). Mazette ! Quelle
découverte ! Et de nous expliquer, le plus sérieusement du monde, qu’il va
montrer aux élèves comment être attentifs à leur inattention ; on ne comprend
même pas le rapport avec les lampes du cerveau. A l’évidence, c’est du vent, du
foutage de gueule absolu.
Mais c’est après qu’on hallucine vraiment car on voit là une
institutrice (professeure des écoles) nous expliquer que le mieux
pour apprendre à lire, c’est d’abord d’apprendre à entendre des sons, puis
de les associer à des graphies, puis seulement d’aborder la lecture. Outre le fait
qu’il y a belle lurette que l’acte de lire a été décortiqué au scalpel et qu’on
en connaît tous les mécanismes, requis, pré-requis, tenants et aboutissants, la
démarche proposée est autant caricaturale qu’erronée. Je sais de quoi je parle,
j’ai « enseigné » (*) la lecture pendant quarante ans.
Mais à intervalles réguliers (disons tous les six mois), on
nous sort comme ça une martingale pédagogique, souvent pour l’apprentissage de la
lecture, sans doute parce que celui-ci cristallise une part importante des
mécontentements. Il ne s’agit en fait que d’une mascarade médiatique destinée à
rassurer momentanément, tout en masquant le vide abyssal où devraient normalement
apparaître des solutions. Je vois là le complet désarroi dans lequel se
trouvent les enseignants, les syndicats, les chercheurs, l’institution entière, et les penseurs, et les parents, face à l’échec patent de l’école dans sa
mission proclamée de réduction des inégalités sociales et dans son incapacité à
donner à tous les élèves l’accès aux outils cognitifs qui les feraient comprendre
le monde et un peu maîtriser leur vie.
Ca me rappelle l’introduction en 1973 des maths modernes et
de la lecture globale, pour le résultat catastrophique que l’on sait. Les
professeurs Tournesol qui depuis ont moisi au CNRS, section sciences de l’éducation,
sont toujours sur la brèche et c’est épaulés par les nouveaux idolâtres de la
science numérico-électrico-statistique qu’ils nous pondent encore régulièrement
de soi-disant nouvelles recettes pédagogiques qui fonctionnent aussi bien qu’un
emplâtre sur une jambe de bois. Le pire, c’est que nous ne sommes pas capables
de voir la supercherie, encore moins de résister.
Eh ben, tant que ça fonctionne, ils auraient tort de se
priver, pas vrai ?
Ho ! Je vous cause.
(*) Je vous expliquerai les guillemets une autre fois.
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