jeudi 14 septembre 2017

La médecine, malade du fric - 2. La durée de la consultation


 CITATION. «  Les tarifs […] publiés au Journal officiel, le 12 septembre. Les consultations complexes facturées 46 euros concernent par exemple les enfants de 3 à 12 ans avec un risque avéré d'obésité, les nourrissons à la sortie de la maternité et les jeunes filles de 15 à 18 ans qui souhaitent obtenir une contraception ou une consultation de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles. »  

Ainsi donc, il existe des consultations complexes. Mais que cache ce terme ? Evidemment la durée que le médecin consacre à son patient. L’équation « Time is money » résume parfaitement l’affaire. On comprend que 25 euros, c’est pour le rhume ou la flemme du lundi matin. Quasiment tout le reste est plus cher, en raison, nous dit-on de sa complexité, sans jamais parler de durée de la consultation, comme si on ne voulait pas mentir, sachant déjà que la durée dans tous les cas est à peu près la même.

Connaissant la nature humaine, je prends en effet le pari que le nombre des consultations complexes va bientôt exploser dans l’hexagone. Ben oui, mettez-vous à la place du toubib : il vaut mieux qu’il diagnostique un maximum de pathologies complexes dans le minimum de temps, s’il veut devenir riche. Et à l’instar de « l’ouvrier fainéant qui profite du système », il ne va certainement pas se gêner (dirait certainement notre président). Comme vous, le patient, n’y connaissez rien, vous allez naturellement vous laisser faire… et angoisser en prime.

CITATION. « Ces consultations peuvent être assorties d'une majoration de 16 euros dans certains cas comme la prise en charge d’un couple stérile, de l’asthme ou encore d’une pathologie oculaire grave. »

En fait, plus on est malade, plus on souffre, et plus on paie. C’est la double peine. Parfaitement injuste, non ?
Je pense que ça devrait être le contraire. Quelqu’un qui vient embêter son docteur pour un rhume ou une flemme du lundi matin devrait payer 46 euros, remboursés sur 25. Ca découragerait certainement des types comme j’en ai vu aux urgences avec une petite rage de dent râler parce qu’on prenait en priorité un bébé malade arrivé après lui.

Mais les toubibs verraient alors aussi leur patientèle commune en bobologie diminuer, d’où manque à gagner, d’où tentation de diagnostiquer davantage de cas complexes. Parce que ce qui amène le malade chez le docteur, c’est la sécu au moins autant que la maladie. C’est la base sécu qui leur permet de se voter des primes en pratiquant le dépassement d’honoraires (sans parler de certains dessous de table). C’est la sécu qui, en les remboursant, permet qu’on se fasse prescrire des laxatifs au lieu de manger des légumes. C’est la sécu qui garantit le salaire des médecins. La sécu est une bonne vache à lait, une vraie poule aux œufs d’or.

Et Macron s’apprête, en baissant les cotisations sociales, à lui couper l’herbe sous le pied ! Ah la la ! C’est encore le corps médical qui va en pâtir si les patients pauvres ne deviennent pas rapidement assez riches pour se payer une consultation complexe.

CITATION. « Un autre tarif fait également son apparition : la consultation dite ’’très complexe’’ facturée 60 euros. Le Dr Jean-Paul Hamon […] explique : "Les consultations très complexes sont des consultations heureusement rares qui concernent la préparation de greffes rénales, pour les insuffisants rénaux. Il faut annoncer à la personne donc c’est toujours très compliqué à faire. Il y a les consultations d’annonce de cancer, c’est toujours délicat. Il y a également des consultations pour les gynécologues pour les malformations fœtales. Ce sont des consultations longues et pénibles à annoncer. Donc, c’est une liste de consultations qui sont très complexes, très longues. La Sécurité sociale a reconnu cette spécificité!". »

Assez pauvre et embrouillé dans ses arguments, le père Hamon ! 60 euros se justifient selon lui par la pénibilité, c’est-à-dire la souffrance du docteur qui est obligé de t’annoncer que tu vas mourir d’un cancer ou que ton gosse sera handicapé ; si on le comprend bien, 60 euros rémunèrent aussi la délicatesse qu’il met à te faire cette annonce. 
Et apparaît enfin le critère de la longueur de la consultation, sans toutefois qu’elle soit chiffrée ou encadrée. Le praticien peut donc être tenté de la raccourcir, d’autant plus que personne ne viendra vérifier s’il a vraiment pris le temps de mettre ses gants avant de te foudroyer avec la mauvaise nouvelle.

Ah, excusez, on me dit que j’attige un peu, car il y a quelqu’un qui peut vérifier : le directeur de ta caisse de maladie. Et en effet, on trouve sur Internet ( http://www.leparisien.fr/societe/91-consultations-en-un-jour-un-medecin-suspendu-10-11-2012-2309181.php ) ce fait divers tout à fait exemplaire (je n'ai pas dit courant).
CITATION. « Un véritable stakhanoviste de la médecine ! C'est à la suite de la plainte du directeur de la Caisse primaire d'Eure-et-Loir qui estimait que les consultations de ce médecin étaient trop importantes que le conseil régional de l'ordre des médecins s'est intéressé au cas du docteur Michel Miramont. Ce généraliste de Chartres vient d'être condamné à une interdiction d'exercer d'une année. Le médecin était accusé d'avoir effectué 17.303 visites pour l'année 2010 et 19.960 pour l'année suivante, alors que la moyenne des visites de ses confrères est de 4.900. Et il n'en est pas à sa première incartade devant la chambre de discipline du conseil de l'ordre. Il a par le passé déjà été sanctionné à deux reprises, en 2000 et 2005. »

Le journal « Le Parisien » est un journal rigolo : il appelle incartade ce qui est en fait une escroquerie. Bah, on aurait tort de lui jeter la pierre puisque l’ordre des médecins lui-même n’a infligé au « stakhanoviste » qu’une petite peine d’un an d’interdiction d’exercer, alors qu’il était déjà bi-récidiviste. Quand on se juge, comme les médecins, entre soi, il y a peu de chance que la justice soit réelle, n’est-ce pas. Mais poursuivons notre lecture.

CITATION. «  […] les visites longues […] limitées à trois par an et par patient passent de 56 euros à 70 euros. Ces consultations concernent essentiellement les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de maladies neurodégénératives. […] les remboursements ne changent pas. Ils sont toujours pris en charge à hauteur de 70%. »

Ah ben si, les tarifs changent : 70% de 56 euros, ça laisse 16,80€ à la charge du patient, 70% de 70 euros, c’est 21 euros. Faut être précis.

Bon, on a compris que le problème qui fait grimper les prix, c’est la revendication des médecins pour leur niveau de vie et que ce niveau de vie dépend directement d’une part du prix de la consultation et d’autre part de sa durée.
N’aurait-on pu mettre en place un système simple, proportionnel, un tarif à la seconde, par exemple ? Tant de secondes de consultation égalent telle somme, un peu comme pour les taxis.
- Ah oui, mais non, parce que là, le patient aurait un moyen de contrôler si son docteur lui a consacré le temps que nécessite vraiment sa maladie, ni trop, ni trop peu, il pourrait comparer avec d’autres.
- Et ainsi les indélicats ne pourraient pas faire durer abusivement. Pas mal !
- On peut même imaginer que le patient stoppe de son propre chef la consultation.
- … ?
- Ben quoi, ce n’est pas parce qu’on n’est pas un spécialiste qu’on doit arrêter de penser, qu’on doit abdiquer de son libre-arbitre.

A propos, j’oubliais de vous donner la durée moyenne d’une consultation en France : 17 minutes. Ca suppose qu’il y en a qui font moins et d’autres plus, qu’il y a des diagnostics plus ou moins longs à établir, des soins plus ou moins longs à prodiguer. Tant de diversité : difficile à gérer. Voici une intéressante étude sur le sujet :


Mais peut-être y aurait-il une solution plus satisfaisante que le système actuel toujours en tension et instable, qui pourrait bien un jour tuer la sécu (si Macron ne le fait pas avant) : que les médecins deviennent des fonctionnaires. Leur niveau de vie assuré, ils exerceraient avec sérénité et sincérité ; finis les risques de complaisance, de clientélisme, de fraude, de laxisme : demeureraient comme seules motivations la conscience professionnelle et la déontologie. Bien sûr, des glandeurs, il y en aura toujours. Mais avec un inspecteur sur le râble, ça ne poserait pas de problème - non ?

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