Nous venons de voir que la retraite universelle à points s'annonce comme une régression des droits pour la majorité des salariés.
Cette réforme vient pourtant de passer, grâce à l'article 49-3 de la constitution.
C'est certainement parce qu'elle est hautement justifiée.
Vous avez en effet tous entendu, répétés dans les grands médias audiovisuels à longueur d'interviews des membres du gouvernement et de commentaires journalistiques, les arguments en faveur de cette réforme.
Voyons ce qu'il en est. (Les parties entre guillemets sont extraites des textes du rapport Delevoye ou de la loi elle-même.)
4.1 "La réforme va vers un système plus simple"
Il paraît en effet qu'au système actuel, avec ses nombreux régimes spéciaux et ses règles compliquées, « On n’y comprend rien ».
D’où l’idée de simplification, d’universalité. Ce qui est universel serait forcément mieux. D'ailleurs, si les humains étaient tous pareils, hein...
Bien sûr, les humains ont entre eux beaucoup de différences et ils exercent aussi une foule de métiers différents. De là vient la diversité et la complexité des barèmes qui leur sont appliqués dans le travail, comme pour la retraite.
Et on a bien vu que d'emblée le gouvernement a fait des concessions aux policiers, aux militaires, aux pilotes de ligne...
Le texte final de la loi consacre même plusieurs articles à des dérogations et aménagements accordés aux travailleurs indépendants, aux auto entrepreneurs, aux agriculteurs, aux travailleurs handicapés, aux danseurs et aux artistes en général, aux femmes qui élèvent des enfants, aux carrières longues, aux personnes qui font des travaux pénibles (alors qu'on avait d'abord dit qu'on « voudrait bien qu’on arrête de parler de pénibilité du travail, comme si le travail pouvait être une peine »...
Le nouveau régime ne sera donc pas plus universel, ni plus simple, que l'actuel. Ce n'est que de raison. Cela se comprend bien.
4.2 "Le nouveau système sera plus juste pour tous"
a) Sont visés exclusivement les fonctionnaires,
qui ont trop d'avantages et partent trop tôt en retraite. Les pires sont les agents de la RATP, de la SNCF et d'EDF. Et en plus, se sont les seuls qui peuvent se permettre de faire grève et d'embêter le monde... !
Mais on supprimera en même temps les conventions négociées par branches dans le privé (BTP, transports, etc.), en parfaite logique avec la "loi travail".
Allez hop ! Tous à la même enseigne : alignement sur les conditions les moins favorables.
Cela n'est pas de la justice, mais tout au plus une méprisable consolation donnée en pâture aux moins bien lotis qui se satisferaient de cette sorte de mesquine vengeance.
Et c'est en réalité une injustice.
b) "Un euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous"
N'est-ce pas déjà le cas ? Mais oui !
Mais non, bien sûr, ce sont encore les fonctionnaires qui sont visés, pour qui le calcul de la retraite est plus avantageux que pour les salariés (3/4 du dernier salaire contre 70% de la moyenne des 25 meilleures années).
A cet égard, on peut bien concevoir une réforme, mais dans l'autre sens, qui égaliserait les retraites vers le haut.
Par ailleurs, à y regarder de près, il y a bien des métiers pour lesquels, dans une heure de travail, il entre plus de sueur, de douleur, de stress ou de maladie professionnelle que dans d'autres, qui pourtant n'ouvrent pas de droits à retraite et qui ne sont pas pour autant mieux rémunérés.
Un euro de salaire ou de cotisation n'a jamais la même valeur pour tous.
Encore une fois, les régimes spéciaux ne sont pas une anomalie, ni une injustice, mais une nécessité, de justice précisément puisque, comme tout le système de la sécurité sociale, ils tendent à compenser les inégalités sociales.
4.3 Cette réforme est faite « pour que les Français retrouvent la confiance en leur système de retraites »
a) Qu'en est-il de la confiance ?
J'ai bien fouillé dans le paquet de sondages publiés en 2019. J'y ai trouvé que les Français faisaient de moins en moins confiance au système scolaire, au système de santé, au politiciens professionnels... mais pas un seul qui dise que les Français ont perdu confiance dans leur système de retraite.
En revanche, dans un sondage de décembre pour le Journal du Dimanche, si "76 % des Français se disent favorables à une réforme du système de retraites", dont 40% pour plus d'égalité, "64% disent ne pas faire confiance au gouvernement" pour la mener à bien.
Dans le sondage du 22 janvier pour BFM, 61% sont même contre la réforme.
C'est à l'égard du gouvernement qu'il y a perte de confiance.
b) Qu'en est-il du déficit ?
Ces sondages paraissent alors même que le gouvernement avait annoncé « une explosion du déficit » de l'assurance vieillesse de la Sécurité Sociale - 6 milliards à la fin 2020, pareil l'année suivante -, ce qui était sans doute censé provoquer la perte de confiance en le système actuel et faire accepter la réforme.
En fait, le déficit actuel de la CNAV est de 2,5 milliards, celui du Fonds de Solidarité Vieillesse, qui sert les retraites pour les périodes de chômage, de 2,3 milliards, soit un total de 4,4 milliards.
Et il est prévu pour 2020 un déficit total de 5,2 milliards.
Or cela ne représentera que 4,33% des 120 milliards nécessaires au financement des retraites.
La dette globale de la sécurité sociale (maladie, chômage, famille, etc) ne représentant par ailleurs que 9% de la dette publique totale.
Il n’y avait donc pas d’urgence.
Rappelons enfin qu’en 2017, il n’y avait pas de déficit de l’assurance vieillesse et qu'elle était même excédentaire.
c) Que
s’est-il donc passé ?
- D'abord, les taux de cotisation au Régime Général n’ont pas évolué depuis le 1er janvier 2017.
Mais qui donc décide de la loi de financement de la Sécurité sociale ? Le gouvernement.
Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage.
Qui veut tuer la Sécu, lui coupe les vivres.
Pour expliquer le déficit soudain, le président de
- "la non-compensation des exonérations de charges" votées dans la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales (MUES).
C’était la mesure pour calmer les gilets jaunes. Au lieu d'augmenter les salaires, le gouvernement a diminué les charges sociales ; les charges sociales étant une partie du salaire, il a donc diminué les salaires.
Qui veut tuer la Sécu, lui coupe les vivres.
- "la trop faible évolution de la masse salariale"
* pas de hausse des salaires
* davantage de retraités
* et toujours autant de chômeurs !
- "L’accord Agirc-Arrco rapporte très peu à la branche retraite de
(Nous verrons cette importante et scandaleuse question des caisses complémentaires de retraite dans le tout dernier chapitre de cet exposé.)
Il y a autre chose encore :
Pourquoi ne pas les utiliser ???
Parce que la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2020, proposée par le gouvernement et votée par l'assemblée, lui a
supprimé la reprise d’une dette de 15 milliards ainsi que l’augmentation de
l’affectation de CSG associée qui étaient prévues par la Loi de Financement de la SS en 2019.
Pourtant, la dette totale restant à amortir par la CADES étant actuellement estimée à 72,5 milliards, cela pourrait se faire aisément, au vu des 24 milliards disponibles annuellement. Mais...
Qui veut tuer la Sécu, lui coupe les vivres
4.4 Conclusion : les justifications à cette réforme ne semblent ni sûres, ni sincères.
Le gouvernement avait en main, par le moyen de la loi de finance - de la loi tout court -, toutes les manettes pour :
- compenser les exonérations de
charges
- augmenter temporairement les cotisations
(avec +
0,1% pendant 4 ans, la dette serait résorbée)
- obliger les caisses
complémentaires à contribuer au financement de la CNAV
- utiliser les réserves financières existantes
- ou augmenter les salaires
mais il ne l'a pas fait.
Il a fait tout le contraire.
Quelle est donc sa logique ?
Quels sont ses plans ?
Nous verrons cela la prochaine fois.
(Le plus beau reste à venir !)
(à suivre)
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