Autrefois, du temps de ma jeunesse, quand on voulait des
nouvelles du bled, ou si on avait envie de klatscher (discuter) ou de ratscher
(parler ragots), on allait s’asseoir au bistrot, pour les hommes, et faire la
queue à la boucherie, pour les femmes. On venait là en habitué, comme
consommateur bien sûr, mais aussi pour voir et revoir des connaissances, les gens
du quartier, ses concitoyens, échanger des opinions, rechercher une approbation
et parfois même refaire le monde.
Aujourd’hui, le bistrot, ça n’existe plus, la boucherie non
plus. Quand vous avez l’un et l’autre, c’est quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent
dans une ville, dans un centre commercial - sur la zone -, et alors, ça n’a plus
rien à voir, car les gens y entrent anonymes et en ressortent inconnus les uns
des autres, volontairement indifférents, comme il est de règle à la ville où l’autre
n’est jamais qu’un gêneur qui parle trop fort, qui lambine devant vous sur l’escalator,
qui vous pique la place de parking, etcetera, et pas quelqu’un qui peut vous
tenir la porte, vous rendre un service ou vous adresser un simple sourire,
chaud comme un souhait de bon jour.
La boucherie et le bistrot où l’on parle sont maintenant
virtuels, sur la planète Internet. Dans Youtube, Facebook, Instagram, Twitter,
et que sais-je encore, on peut s’exprimer comme autrefois devant le zinc, tout
pareil faire son important, se désaper, révéler des secrets, blaguer, manipuler,
commenter l’actualité, colporter des rumeurs, émettre des avis, argumenter, juger, s’indigner, gueuler,
engueuler, insulter… faire le buzz en sus, sans que ça dégénère en bourre-pifs
et sans avoir la gueule de bois le lendemain matin. Inconvénient cependant :
vous ne voyez pas la tronche que fait celui qui est peut-être en train de vous
raconter des salades. Le bistrot Internet a en revanche un avantage : il
est démocratique, il met tout le monde à égalité ; la preuve : on y tutoie
des célébrités. Un peu comme si Donald Trump ou Emmanuel Macron ou Nabilla en
personne débarquaient au Café du Commerce.
J’en entends qui s’exclament « Et en plus, ça va hyper vite !
C’est formidable ! » Ben non, désolé, parce qu’en passant du comptoir
à Internet, c’est toujours un maximum de conneries (dont buzz est de plus en
plus le synonyme) qui se donne à entendre et qui domine le tumulte. Rien n’a
changé ?! Non, c’est pire : vous restez là, sous l'avalanche, à vous demander si c’est du lard ou
du cochon. Et si vous avez vous-même quelque chose d’important à dire, allez plutôt prêcher
dans le désert, parce que le logiciel Internet fonctionne en vérité comme un agent
commercial : dès qu’il a repéré vos centres d’intérêt, il vous y ramène
sans cesse, avec le wagon des pubs qui le font engraisser. Ben oui, comme ça, vous ne
risquez pas de rencontrer le troisième type, vous tournez en rond dans le cercle
de vos « amis » et des infos, des annonces, des discours qui vous réchauffent
le cœur en vous rassurant sur ce que vous pensez penser.
Allez, allez, si les discussions de comptoir avaient changé la face
du monde, ça se serait su.
« Albert, tu me remets une mousse, s’il te plaît. »
Merci pour ce brin de nostalgie. Le bistrot à la française c'était bien.Tout simplement convivial.
RépondreSupprimerMaintenant Facebook et compagnie ça fait peur. Comme tout ce qui est écrit reste, tu ne peux plus changer d'avis sans qu'on te ressorte tes anciennes déclarations. Au bistrot on pouvait être de mauvaise foi: "Mais non je n'ai jamais dit ça".
Les réseaux sociaux font peur aussi parce qu'ils savent tout de toi. Par exemple : Charlotte vient de recevoir un message de Bienvenue à La Roche Noire émis par Facebook . Elle avait parlé de son déménagement sur le site. Quel est l'intérêt de cette démarche ? Sinon de dire : "Je te surveille, je sais où tu es et ce que tu fais".
Big Brother is watching you.
Tu as raison. Mais le vrai Big Brother, c'est l'ogre du commerce qui ne te lâche jamais ; tout l'internet semble désormais focalisé sur l'impératif de la consommation. Si on te piste, c'est toujours pour te vendre quelque chose. N'est-il pas comique qu'on en arrive à parler de droit à l'oubli ? Même devant cette évidence, si simple à mettre en oeuvre, le Web rechigne... le business internet ne veut pas t'oublier, jamais.
RépondreSupprimer