vendredi 22 décembre 2017

La farce de l’info - 2. Confiscation de liberté pour tous

Toujours Bourdieu, en 1996, à propos de son travail de recherche au CNRS : 
« Nous sommes des fonctionnaires de l’humanité, payés par l’état, et il fait partie de nos obligations de restituer ce que nous avons acquis. » 
Bourdieu affirmait donc ainsi l’existence d’une éthique du fonctionnaire chercheur, et lorsqu’il publiait ses analyses du fonctionnement de la télévision, il espérait sans doute que cela favoriserait une réflexion, mènerait à une prise de conscience et à terme à une correction des défauts, dérives et dangers qu’il relevait. Pour cela, il eut fallu qu’il passât à la télévision et qu’il n’y fût pas descendu en flammes.

En vérité, Bourdieu n‘était pas un naïf. Prévoyant que son ouvrage, trop critique à l’égard de la télévision et en particulier du journalisme de télévision, serait mal reçu et que le milieu télévisuel, afin de s’en défendre, n’en tiendrait tout simplement aucun compte, il prophétisait même :
« J’ai toutes les raisons de craindre que mes analyses ne servent surtout qu’à alimenter la complaisance narcissique d’un monde journalistique très enclin à porter sur lui-même un regard faussement critique. »
Comme il était encore au-dessous de la vérité ! Le journaliste de télévision se pose en effet toujours en juge et en partie du simple fait que c’est lui qui décide seul de l’information qui doit être reçue du téléspectateur. Donner à entendre une critique à son propre égard saperait en effet sa crédibilité, et il s’en suivrait inévitablement une baisse de l’audimat. Nous savons que, pour quiconque fait de la télé, toute baisse de l’audimat a pour conséquence immédiate la disparition des écrans. Le journaliste de télévision (qui tient à son job, bien payé) est donc logiquement condamné à avaler des couleuvres, à épouser la ligne rédactionnelle de sa chaîne, à se soumettre aux ordres de l’actionnaire principal de sa chaîne. C'est pour ça qu'il est bien payé.
En 20 ans, rien ne s’est passé, la situation s’est même plutôt aggravée, car il est impossible aujourd’hui d'adresser la moindre critique à un journaliste. Soit il vous coupe lui-même au montage, soit il vous démolit au montage. C’est là son pouvoir. Toujours sous l’œil bienveillant de son patron !

A ce stade, dit Bourdieu, « il est important de savoir que NBC appartient à General Electric, que CBS est la propriété de Westinghouse, que ABC est la propriété de Disney, que TF1 est la propriété de Bouygues… Il est évident qu’il y a des choses qu’un gouvernement ne fera pas à Bouygues, sachant que Bouygues est derrière TF1. Ce sont là des choses tellement grosses et grossières que la critique la plus élémentaire les perçoit. […] s’exercent les censures de tous ordres qui font de la télévision un formidable instrument de maintien de l’ordre symbolique. »
Aucun journaliste de télévision ou de radio n’est libre. Le problème, c’est qu’il prétend le contraire. Il ne dit pas pour qui il roule, qui lui donne des ordres, ni à qui il se doit de plaire ; il se réclame toujours haut et fort d’une déontologie qu’il se voit obligé de piétiner chaque jour, il se prend pour un contre-pouvoir alors qu’il est au contraire au service d’un pouvoir, celui du parti qui gouverne, celui des financiers qui le paient.

Et nous y voilà, au « maintien de l’ordre », pas seulement symbolique car le journalisme des grands médias populaires est aujourd’hui une police de la pensée et le journaliste un CRS de l’ordre établi. « Circulez, y a rien à voir ! »

à suivre


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