Accalmie dans mon emploi du temps : je reviens. Partageons une lecture. En 1996, Pierre Bourdieu, sociologue, écrivait "Sur la télévision". En voici quelques extraits, avec mes commentaires.
« La télévision
[…] fait courir un danger très grand aux différentes sphères de la production
culturelle, art, littérature, science, philosophie, droit ; »
Et en effet, l’essentiel des
programmes aux heures de grande écoute (quand les gens rentrent crevés du
boulot) est désormais composé de divertissements dans lesquels la connaissance
de la télé fait office de culture générale, de séries policières qui se copient
mutuellement, de rediffusions, de talk-shows où l’on passe son temps à se
couper la parole et à se moquer d’autrui, d’émissions de téléréalité où chacun
vient se présenter tel qu’il est, avec son langage, fût-il grossier, son
vocabulaire, fût-il indigent, ses idées, fussent-elles limitées à la
considération des choses les plus vulgaires, le choix d’une confiture ou les
effets de la gueule de bois. Ajoutez à cela les innombrables et interminables
séquences de publicité, elles-mêmes devenues bêtes, comme si elles
s’adressaient désormais à un public de crétins qu'elle a contribué à crétiniser, et vous voyez ce qui reste pour l’information
et la production culturelle. Ca n’élève pas le niveau d’intelligence du
téléspectateur ; bien au contraire, ça le plombe.
« […] je crois
même que, contrairement à ce que pensent et à ce que disent, sans doute en
toute bonne foi, les journalistes les plus conscients de leurs responsabilités,
elle [la télévision] fait courir un danger non moins grand à la politique et à
la démocratie. »
Ceci demande bien sûr éclaircissement.
D’où les citations à venir. Mais un mot d’abord : je trouve Bourdieu très
gentil avec les journalistes quand il leur prête cette sorte de naïveté de
croire qu’ils font bien leur boulot quand ils subordonnent le contenu de leurs
émissions à l’audimat, quand ils omettent sciemment de donner l’information qui
gênera le propriétaire de la chaîne qui les emploie, quand ils fournissent les
questions de l’interview à Macron et tendent piège sur piège à Mélenchon, tout
en évitant de trop égratigner le FN, quand ils citent les gens hors contexte
afin que le téléspectateur (ce bœuf !) interprète dans le sens qu'ils estiment correct, quand ils répètent bêtement comme des moutons de Panurge ce qui
a paru un scoop ou un beuze sur une autre chaîne, quand ils dramatisent le
moindre événement au détriment de sa compréhension, quand ils font mine qu’un
micro trottoir vaut sondage d’opinion, etcetera. C’est tellement gros que s’ils
ne se rendent pas compte par eux-mêmes que leur déontologie professionnelle est
restée au vestiaire, c’est qu’ils sont vraiment cons. Ce que je ne crois pas. Ce
sont donc plutôt des salauds.
« Le discours
articulé [qui] a été peu à peu exclu des plateaux de télévision - la règle
veut, dit-on, que dans les débats politiques aux Etats-Unis, les interventions
n’excèdent pas sept secondes - reste en effet une des formes les plus sûres de
la résistance à la manipulation et de l’affirmation de la liberté de pensée. »
Le discours articulé ! C’est-à-dire
la démonstration, qui s’appuie sur la raison, sur la logique. La confrontation
des discours intelligents, voilà ce qui a été supprimé de la télévision - pas
le temps pour, pas désirée non plus - au profit de la manipulation et de la
négation de la liberté de pensée. Ce que le téléspectateur doit retenir, c’est
la petite phrase, la blague, la saillie, le mot qui choque, la promesse
gratuite, le sourire et la grimace... N’essayez pas de convaincre, de
justifier, d’argumenter à la télévision, on vous coupera immédiatement la
parole pour vous balancer un truc qui n’a rien à voir. C’est comme ça que Macron
a été élu, épargné, choyé, vendu par la télévision, sans que jamais il ait eu à démontrer
comment il allait compenser les baisses des charges sociales patronales et de la
taxe d’habitation, tandis que La France Insoumise détaillait le financement de son
programme pendant cinq heures sur Youtube - mais ça, les téléspectateurs n’ont même
pas eu le droit de savoir que ça existait.
A suivre
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