Toujours Bourdieu, à propos de la télévision :
« Les faits divers […] le sang et le sexe, le
drame et le crime ont toujours été la pâture préférée de la presse à
sensations, et ont toujours fait vendre […] Le règne de l’audimat devait faire
remonter ces ingrédients à l’ouverture des journaux télévisés … »
Et c’est bien ce que chacun peut
constater en suivant au jour le jour n’importe lequel des journaux de midi ou
du soir des principales chaînes de télévision, celles qui font le plus gros
chiffre d’audimat. Combien de fois en effet n’avons-nous pas eu droit à
l’incendie d’un immeuble à Taïwan avec les gens qui sautent pas les fenêtres, à
l’accident dans le Yucatan d’un car dont il ne reste que de la bouillie (alors
qu’au même instant se produisent des dizaines d’événements semblables de par le
monde), au désormais banal massacre d’étudiants
dans les universités états-uniennes, sans compter les promeneuses et les
petites filles françaises enlevées, torturées, violées, découpées, brûlées,
dispersées, enterrées puis exhumées par les journalistes pour booster l’audimat ?
« Les faits
divers, ce sont aussi des faits qui font diversion. »
Très fort en effet ce que
réussissent les dirigeants et les journalistes des chaînes publiques, qu’on
pourrait d’ailleurs désormais appeler chaînes gouvernementales tant elles sont
attentives à servir le dernier monarque que les élections ont mis au pouvoir, à
ne pas le contrarier, à ne pas mordre cette main qui pourrait les pousser dans
une oubliette. Le « 12-13 heures » de France 3, par exemple, commençait
il y a deux semaines régulièrement sur un quart d’heure consacré aux chutes de
neige. D’abord, le présentateur explique très sérieusement qu’il a neigé et que
ça pose un problème « Vous allez le voir ». On a donc le reporter sur
place, avec à l’arrière-plan une quelconque évocation des difficultés à
circuler, ou juste un tas de neige, qui redit exactement la même chose. Puis, c’est le
micro-trottoir : une mamie fataliste dit « ben, c’est l’hiver »,
puis un chauffagiste ou un livreur de mazout se présentent comme des sauveurs,
puis un automobiliste bloqué, mais philosophe, en prend son parti, puis le
gendarme répète qu’il a neigé et donne quelques conseils du genre « Restez
chez vous », puis un enfant se réjouit de ne pas aller à l’école, puis un
moniteur de ski… et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on passe dans une autre région
et qu’on recommence le même cirque. Si ça n’est pas du remplissage… Après ça,
tout le reste de l’actualité est expédié en moins de dix minutes.
- Ca donne envie de hurler.
- Et personne ne dénonce cette
fumisterie ?
- Ben non, faudrait déjà qu’on
nous donne l’antenne pour qu’on puisse râler contre la télé.
- Là, tu peux toujours courir.
Bourdieu appelle ça « les faits omnibus […] qui
sont sans enjeu, […] qui ne touchent
à rien d’important. » Il ajoute : « Le temps est une denrée extrêmement rare à la télévision. Et si l’on
emploie des minutes si précieuses pour dire des choses si futiles, c’est que
ces choses futiles sont en fait très importantes dans la mesure où elles
cachent des choses précieuses […] On
écarte les informations pertinentes que devrait posséder tout citoyen pour
exercer ses droits démocratiques. »
Voilà, la chose est dite :
« La télévision bras armé dans l’assassinat de la démocratie ». C’est
ce complot qui est mené depuis toujours par la bourgeoisie financière pour
conserver son pouvoir sur les travailleurs du monde entier. En favorisant
l’émergence d’une certaine caste de politiciens qu’on peut facilement acheter
(en finançant par exemple leur élection), puis en nous les vendant comme de la
lessive grâce à la publicité et au lavage de cerveaux opérés par les medias audiovisuels
dont elle est propriétaire, la puissance financière s’assure le verrouillage du
jeu démocratique, tuant tout espoir d’une alternative au libéralisme
capitaliste.
Jean-Claude Juncker, dans un bel
élan de sincérité, à moins que ce fût un grognement menaçant de dictateur, l’a fort
bien exprimé : « Il n’y a pas de démocratie en dehors des traités
européens ». Traduction : Fermez-la ! Obéissez !
- Et personne n’a relevé ?
- Pas le temps, voyons, ça
tombait juste avec le rebondissement de l’affaire Grégory.
- Ah ? Mais s’il n’y avait
pas eu l’affaire Gregory, ils en auraient parlé, tout de même. Non ?
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