Si je milite, c’est que j’ai l’espoir de convaincre. Quand,
lors d’une distribution de tracts, je peux engager la conversation avec la
personne qui vient de prendre mon tract, ou parfois aussi le refuser, je me
demande toujours aussitôt pourquoi cette personne s’arrête, prend sur son temps
(comme moi) pour m’écouter ou au contraire me faire connaître son avis ;
je me demande qui j’ai en face de moi, une personne simplement intéressée ou
déjà convaincue ou au contraire décidée à ne pas se laisser convaincre, et je
me demande de quelle sorte sa réaction va être. Je me prépare psychologiquement, j’observe
les mouvements de sa physionomie, j’interroge le ton de sa voix, je suis
attentif à chaque mot qu’elle prononce.
« J’irai pas voter.
- Pourquoi ?
- Ca ne sert à rien. Le parlement européen n’a aucun pouvoir. Une fois élus, ils font ce qu’ils veulent. Tous pourris, ne pensent qu’à leur gueule. »
Aïe ! Ca commence mal. Les dégoûtés de la politique,
sincères ou feints, c’est dur à convaincre. Mais j’essaie de raisonner : « Ne
pas voter, madame, c’est voter pour les deux que les sondages donnent gagnants.
Vous êtes donc contente de la politique de Macron et d’accord avec le programme
de Le Pen
- Je n’ai pas dit ça.
- C’est vrai, vous ne dites rien, mais qui ne dit mot
consent. »
Et là, il faut bien qu’elle s’explique.
Mais c’est dur, elle patine dans la semoule, elle tourne en
rond avec ses mêmes arguments, illustrés d'exemples :
« Les financiers sont plus forts que les politiques. Mélenchon
est plus riche que Macron. Les syndicalistes sont vendus aux patrons. Et cetera. »
Voilà une personne désespérée, résignée à se faire tondre. Ce
qu’elle demande : oublier la contrariété, qu’on lui fiche seulement la
paix. Mais ce ne sera pas pour aujourd’hui :
« Si vous n’êtes pas contente et ne votez pas, je
comprendrais que vous soyez escroc, perceuse de coffre-fort ou voleuse de
poules pour récupérer un peu de ce qu’on vous prend, je comprendrais que vous
soyez anarchiste et poseuse de bombes pour vous venger ou provoquer un changement, je comprendrais que vous soyez nonne bouddhiste afin d’apprendre à
supporter votre souffrance… ce serait logique. Mais si vous restez là, comme
ça, sans réagir, j'en déduis qu’en réalité vous êtes contente de votre sort - non ? »
Agacée, pour clore le débat, elle me lance, en s’éloignant
déjà :
« Allez, je m’en fous, moi, de tout ça, je bosse au Luxembourg. »
- Vous avez raison, madame, il faut être égoïste. Si vous
vous faites agresser, ne comptez pas sur moi pour vous secourir. »
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