Les Gilets Jaunes ont reçu beaucoup de soutien en
pourcentage dans les sondages, mais peu dans les actes. Ça révèle des choses sur
le fonctionnement de notre société, de la même façon que deux tiers d'abstentionnistes. Par parenthèse, on aurait aimé avoir le profil politique, socioprofessionnel et géographique de ces nombreux Français qui soutiennent encore les Gilets Jaunes ; on
aurait ainsi vu qui ne les soutient pas - peut-être une révélation de plus.
Donc, le mouvement des Gilets Jaunes n’en finit pas de
mettre à nu les escarres de notre société, d’en gratter les furoncles, d’en retourner
le slip merdeux : la pauvreté, l’inégalité, la dictature, la corruption,
toutes les dégueulasseries banalisées que refuse de voir, par paresse, par
confort, pour ne pas se prendre la tête avec les problèmes des autres, un certain Français, plutôt moyen, moyen haut, qui s’en sort encore pas trop mal, celui qui dès lors qu’il a assez
pour partir en vacances dans sa grosse bagnole se prend pour un genre d’intellectuel
et considère le smicard comme d’une classe inférieure qu'il répugne à fréquenter, des fois que ça salirait.
Les Gilets Jaunes ont, sans le vouloir vraiment, mis en lumière ce type-là dont, même sans l’aide d’un sondage, je peux deviner
l’appartenance politique et socio professionnelle.
En effet, où étaient les artistes (à part quelques-uns) pendant
que les Gilets Jaunes se battaient pour un salaire décent, une vraie démocratie
et retrouver leur dignité ? Eh bien, il se tenaient en retrait, dans leurs
hautes sphères et dans un silence assourdissant.
Je me suis demandé pourquoi ces enfoirés si prompts à
chanter ou signer contre la faim dans le monde et pour les restaus du cœur et
le téléthon n’ont pas daigné soutenir la cause des pauvres quand les pauvres se
rebellent eux-mêmes, tout seuls, sans aide - et foin des dames patronnesses ! - contre
leur état de pauvreté.
J’ai d’abord supposé que, contre le plein gré de leur bon
cœur, les artistes ont eu peur de se mouiller, peur qu’on les empêche ensuite de
travailler (un peu comme ce qui arrive à ceux que la meute médiatique accuse
d’antisémitisme) parce que tout de même, les producteurs ne sont pas des
philanthropes, mais des businessmen, et donc du côté du fric. Je me suis dit alors
que le pognon avait sacrément gangrené le métier.
Mais à la réflexion, je pense qu’il n’y a plus de
saltimbanques (même pas ceux qui tournent dans les MJC, puisqu’ils
dépendent des subventions), les artistes
sont passés du côté du fric, des riches ; ils sont devenus des animateurs
de jeux du cirque, payés (grassement parfois) pour faire rêver ou rigoler, distraire au
sens propre, avec des foutaises mais que surtout ça ne fasse pas réfléchir.
Comme le football.
Où étaient les penseurs d’Amnesty International ?
N’auraient-ils pu frapper à la porte des journaux pour protester contre les tirs
tendus de flash-ball, contre les grenades assourdissantes, contre les
arrestations préventives, contre le tabassage des grand-mères tombées au sol, contre
l’esprit des Benalla… Peut-être que les membres d’Amnesty France craignent
qu’on les accuse de faire de la basse politique s’ils critiquent le
gouvernement Philippe ? Peut-être que les membres d’Amnesty France n’ont tout
simplement pas les mêmes vulgaires préoccupations que les Gilets Jaunes…
Où étaient les enseignants ? Dans leur classe. Ah, ils travaillaient ! Tout va
bien pour eux, ils sont payés à l’heure, le boulot n’est pas fatigant, et ils ont
les vacances. L’école mise à mal, ils s’en foutent, ils appliquent docilement
les injonctions ministérielles et les réformes. La culture interdite aux pauvres,
ils s’en foutent, ils s’en vont entre amis écouter l’opéra. Peut-être que les enseignants
n’ont pas remarqué la présence dans leurs classes d’enfants dont les parents
tirent le diable par la queue.
Où étaient les intellectuels si compatissants pour les
peuples opprimés ? Ils se bouchaient le nez, pardi ! (à part
quelques-uns, ceux qu’on accuse de populismes) car pour eux, le Gilet Jaune
sent un peu trop la sueur.
Et où donc étaient les policiers dont on découvre soudain cette
semaine qu’ils sont mal payés ? N’auraient-ils dès lors pas dû se
trouver du côté des Gilets Jaunes...au lieu d’être en face ?
Ah mais non, ils sont du côté du manche ! Le boulot des policiers,
c’est justement d’empêcher les Gilets Jaunes… Ils sont payés comme eux, mais pour leur taper dessus.
Le plus marrant, du point de vue des flics, c’est qu’ils ont habilement réussi à profiter du mouvement des Gilets Jaunes pour obtenir du gouvernement, en quelques heures et en double, ce que les Gilets Jaunes n’ont pas obtenu après
cinq semaines de bagarre. C’est vrai qu’ils ont pleurniché qu’ils étaient
fatigués. Mais quand ils balançaient des grenades sur un retraité obligé de
distribuer des pubs pour survivre, ils n'étaient pas fatigués, hein : ils ne
se demandaient pas si le vieux était fatigué.
En tout cas, s'ils avaient eu un peu de dignité, les policiers auraient dû en premier lieu remercier les Gilets
Jaunes. Mais sans doute que ça leur aurait arraché la gueule.
Quoi qu’il en soit, les policiers devraient maintenant enfin s’interroger sur
leur véritable rôle dans la société, en arrêtant de jouer l’hypocrisie. Si c'est possible, car malheureusement, ce n’est pas avec le discours ressassé à
longueur de temps par les médias que l’examen de conscience pourra se faire
sincèrement.
J’entendais en effet hier soit le Calvi (à prendre dans le
sens « archétype du journaliste de TV »), dans une de ces émissions
politiques de propagande farcies de spécialistes autoproclamés, dire à un représentant de syndicat policier en grève
qui venait d’affirmer crânement sa détermination à aller jusqu’au bout pour
obtenir satisfaction : « Vous êtes quand même le dernier rempart de
la démocratie ». D’abord, on croit rêver, puis on se marre et en fin de compte, on a envie de pleurer.
Dans son souci de lécher le cul du pouvoir, le Calvi place en
effet la police à l’exact opposé de ce qu’elle est, un outil de coercition au service
du pouvoir, tout entier entre les mains de l’exécutif. La
police, gérée par un exécutif tel que le nôtre, que personne ne contrôle, est en fait LE danger qui menace la démocratie. (Vous ferez vous-même
l’analogie avec les polices des diverses dictatures passées et actuelles.)
Quand certains (Darmanin, Castaner, par exemple) accusent
les Gilets Jaunes d’être des fachos, de brouter aux prairies du Rassemblement National,
et quand on voit comment la police (aux ordres du même Castaner) traite les
manifestants, on se demande si le fascisme ne serait pas du côté du ministre, de la
chenillette blindée et du canon à eau.
Là-dessus, flash vers 22 heures : les policiers tout
contents annoncent aux micros qu’ils n’ont plus de raison de faire la grève
puisqu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient : du fric. Le reste, ils s’en
foutent. Enfin pas tout à fait : ils veulent aussi davantage de moyen, pour
flinguer les manifestants sans doute.
Après avoir bien profité du mouvement des Gilets
Jaunes, ces égoïstes, même pas solidaires des autres fonctionnaires qui eux n’auront
rien, rentrent dans leurs casernes, chaussent les rangers et sabrent le
champagne, à nouveau prêts à casser du manifestant. Et maintenant qu’ils sont
engraissés, la prochaine fois, ils feront du zèle et ça va saigner pire encore, je
vous le dis.
Merci aux Gilets Jaunes qui viennent de sortir tout ça des
sphères confidentielles pour le hisser dans la lumière, malgré tous les efforts des médias pour qu'on n'en parle pas. Car bien sûr, les
Calvi, comme toujours, balayent les saletés du régime sous le tapis.
Néanmoins, on se marre parce qu’ils se trahissent quand
même : parmi les derniers remparts de la démocratie, le Calvi a oublié de
citer... les journalistes. Non ? Sans doute s'agit-il d'un acte manqué : il n’y a pas pensé parce qu’au fond il sait bien qu’il n’est lui-même
qu’un servile lécheur de bottes.