samedi 31 mars 2018

Héroïsme, patriotisme, hommage national...

Ces temps-ci, La-France a beaucoup honoré ses héros. Au point que le président Macron ne sait plus où donner de la tête, obligé qu’il est de se montrer à tous les enterrements un tant soit peu colorés de patriotisme. Dernier en date : l’hommage national au gendarme Arnaud Beltrame. Il est bien naturel qu’un fonctionnaire mort en exerçant son métier soit honoré, mais il ne faudrait pas systématiquement « instrumentaliser » toutes les morts à la sauce nationale… Le gendarme Beltrame était-il bien seulement dans l’exercice de sa mission et est-ce bien seulement pour cette raison qu’il a fait l’objet du déploiement de toute la pompe républicaine ?

Si par exemple il était mort d’une traîtreuse rafale de mitraillette en tentant d’arrêter une bande de braqueurs ou de dangereux trafiquants de drogue, chose qui arrive aussi, aurait-il eu droit à des funérailles nationales et à la légion d’honneur ? Pas sûr.

Le gendarme Arnaud Beltrame n’a donc pas fait seulement son boulot, il a fait quelque chose de plus, une chose extraordinaire dont le commun des mortels n’aurait pas eu le courage, un geste qui n’a rien à voir avec le métier de gendarme - car le militaire ne doit en aucun cas mettre sa propre vie en péril (il est plus utile vivant) -, un geste qui a dû beaucoup étonner ses supérieurs : on nous dit en effet qu’il a donné sa vie pour sauver une autre vie, qu’il s’est sacrifié.

Sacrifié ! La formule est désormais banale, mais le fait évoqué n’est pas anodin : le sacrifice est un acte religieux qui consiste à immoler une victime, parfois innocente, en offrande à une divinité afin de s’attirer ses bonnes grâces. C’est ainsi que sont égorgés les esclaves de l’Inca et les agneaux pascaux, et peut-être les dindes de Noël. Si l’on considère qu’Arnaud Beltrame s’est sacrifié, c’est forcément sur un autel.

Ceci dit, peut-être Arnaud Beltrame espérait-il simplement pouvoir désarmer le terroriste (dont nous tairons le nom pour ne pas en faire un martyr du djihad) et là, ça cadre tout de même mieux avec le travail d’un gendarme. OK ?

Nous devons comprendre que celui qui nous est désigné, urgemment et avec insistance, comme un héros est d’abord celui qui se moque de vivre, pourvu que sa mort en laisse vivre d’autres. C’est un choix que font peu de gens, mais qui est nonobstant respectable. En y réfléchissant, on peut voir dans ce sacrifice un geste christique ! A l’instar de Jésus mort sur la croix pour nous sauver des péchés que nous n’avions pas encore commis, le père ou la mère s’accuseront du crime de leur enfant, le vieillard donnera son gilet de sauvetage à plus jeune que lui, le pompier se jettera dans l’incendie au mépris du risque d’y périr. Cela ne fera pas d’eux des héros.
Mohammed Bouazizi qui s’immola par le feu, l’inconnu de Tien’anmen qui se tint debout face aux chars, Che Guevara qui combattit les dictatures d’Amérique Latine… en voilà qui ont de l’étoffe des héros.

Pourquoi ? Parce que les héros, à qui nous prêtons - peut-être sans savoir -, des motivations généreuses, désintéressées, atteignent à la dimension supérieure, universelle, du modèle et de l’emblème, lorsque leur sacrifice peut être sublimé. Ils deviennent des symboles et des exemples pour… un grand  nombre de gens. Non, pas pour tous les gens (Che Guevara n'est-il pas haï par beaucoup?). En fait, le héros n'est pas universel, car il n’atteint qu’à la dimension partisane : le héros est toujours celui d’un clan, contre un autre clan. C'est cela qu'il nous est demandé de comprendre.

Le gendarme Arnaud Beltrame est-il un héros ? Bien sûr, puisqu’il a été désigné comme tel au peuple français, notre clan, par le président de la république : "Il faisait face à l'agression islamiste, à la haine et à la folie meurtrière, et avec lui surgissait du cœur du pays l'esprit français de résistance."  Voilà le fin mot lâché, la justification de cette consécration, de cette sacralisation du héros : le héros incarne La-France, notre France bien aimée, face à ses ennemis (l'autre clan). Dans cette affaire - désormais banale n’est-ce pas - de prise d’otage par un français musulman islamiste radicalisé adoubé djihadiste (quoique jugé non dangereux), le gendarme Beltrame s’est sacrifié sur l’autel de la patrie ; cela signifie que de son corps il a fait un rempart, qu'il a donné sa vie pour que La-France menacée demeure, pour ses valeurs, pour nous, pour vous, pour moi, pour que nous puissions dormir sur nos deux oreilles, dans le meilleur des mondes… etcetera.

Le président Macron, comme ses prédécesseurs, nous a récité le mantra du patriote : « Français, tous ensemble, unis contre la barbarie ! » ; ça voulait dire aussi « Regardez comme je fais bien, et soutenez-moi ! ». Eh bien, je trouve cette déclaration, d’une part, inepte parce qu’elle ne dit rien d'intelligible (on ne voit pas bien comment on pourrait, dans nos bleds respectifs, se dresser contre la folie meurtrière - c'est comme une prière adressée au vide -, d’autre part,  défaitiste : sommes-nous en effet tombés si faibles qu’il nous faille un ennemi et un héros pour nous sentir solidairement français ? C’est faire peu de cas des choses (les fameuses valeurs ?) qui pourraient vraiment nous donner envie de nous sentir français parce que ces choses sont réellement universelles, utiles et bonnes pour le genre humain.

Ne pourrions-nous pas nous rassembler pour quelque chose au lieu de nous rassembler contre ? Réfléchissons… Non, décidément, ce n'est pas possible. Car les Français ne pensent pas tous pareil. Et parce qu'être français, ça veut juste dire qu'on est soumis aux lois, us et coutumes, impôts, dirigeants, etcetera, qui s'appliquent ou sévissent sur le territoire reconnu comme France.  

Moi, par exemple, je ne suis pas patriote, je ne défends pas ce qu’on appelle La-France envers et contre tout. Ainsi, je ne supporte pas qu’on dise que c’est La-France qui a déclaré la guerre à Kadhafi alors que c’est Sarkozy tout seul qui l’a fait et, à mon avis, pour de très vilaines raisons en plus. J’ai en revanche apprécié le discours de Villepin à l’ONU contre la guerre qui devait abattre Saddam Hussein ; mais ni Villepin, ni Chirac n’étaient La-France. Je comprends par exemple que les habitants du royaume de France se soient sentis de la même nation au moment de la révolution, quand l’Europe entière des royautés s’est liguée pour tuer dans l’œuf l'espoir d'avènement d'une démocratie. Mais Napoléon n’est pour moi qu’une source de honte française, ne serait-ce que par l’horrible répression qu’il a exercée sur les révoltés de Haïti (entre autres). Les grévistes qui ont amené le gouvernement du Front Populaire à octroyer les congés payés, les 40 heures, et le reste, voilà (peut-être) une raison de se préférer français plutôt qu’Anglais ou Allemand. Mais peut-être aurais-je préféré être luxembourgeois en 1914…? Et pour en finir : le pillage des colonies africaines ne peut pas rendre fier et je ne pense pas que les militaires français morts ces dernières années dans des opérations extérieures l'aient été pour La-France.

Jean Jaurès, c’était un gars bien, tout le monde aujourd’hui se réclame de Jean Jaurès, même le belliqueux Sarkozy, mais on a beau tendre l’oreille, on n’entend pas beaucoup de voix comme celle de Jaurès (je vous laisse chercher lesquelles) : nos gouvernants sont tous des va-t-en-guerre ! 
Qui songe à honorer les fondateurs de l’Internationale Ouvrière Socialiste de 1923 qui, bien que modérée, aurait sans doute été le meilleur moyen d’éviter la seconde guerre mondiale si seulement les patriotismes exacerbés et revanchards ne l’avaient divisée et affaiblie ? Personne. Les ouvriers allemands et français qui tentaient alors de s’unir pour une Europe sociale et pacifique sont oubliés. Ils auraient pu faire de jolis héros pourtant. Non, à la place, nos monarques élus nous désignent toujours et encore des ennemis, objets de notre haine : la nébuleuse des islamistes, Bachar al Assad, Maduro et Poutine, contre qui l'Union Européenne veut faire l'union militaire.

Allez ! L’objectif de ces commémorations et hommages en l’honneur des héros de la nation est encore de faire passer la pilule du libéralisme, de l’austérité, de la paupérisation des classes moyennes, du maintien d’une classe miséreuse, de la destruction de l’état et des services publics, de masquer le scandaleux enrichissement des capitalistes indéboulonnables qui depuis des siècles s’engraissent en parasites du travail des autres, tels ces actionnaires de Carrefour qui viennent de toucher le super pactole tandis qu'on annonçait le dégraissage du personnel. 

Pendant qu’on diffuse les sept heures de cérémonie, puis qu'on les commente, on n'a pas le temps de nous informer que les universités commencent à entrer en ébullition et que les mécontents font déjà une majorité dans le pays, pas le temps non plus de parler de l'armée israélienne qui a tué 16 manifestants palestiniens dans la bande de Gaza ; car le peuple n'a pas besoin de réfléchir, juste mettre la main sur le cœur et communier dans l’émotion nationale... Et demain, la fleur au fusil, la patrie passera avant la famille, sinon ce sera le peloton d’exécution.

Petite crotte sur le gâteau patriotique : comme il n’y avait pas de juif dans le supermarché de Trèbes, le CRIJF nous a balancé Mireille Knoll : « Nous sommes tous Mireille. » N'aurait-il pu y avoir dans cette marche blanche une petite pancarte « Nous sommes tous Arnaud » ? Mais non. Les français ne sont pas des héros, tout au plus des victimes ou des bourreaux.

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Des gens parlent ici du gendarme Arnaud Beltrame :


1 commentaire:

  1. Faut-il mourir pour la France pour être un héros?
    Que dire de ces mineurs qui sont restés sur le carreau et ne sont jamais sortis de leur galerie?
    Et ces ouvriers qui ont été happés par la machine de leur usine?
    Et ces manifestants désarmés qu' on a laissé sur le pavé?
    Héros de la patrie? Sacrifiés sur l'autel du profit, ils n'ont pas eu droit à des obsèques nationales.
    https://www.youtube.com/watch?v=iMewtlmkV6c
    Alain

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