mercredi 30 août 2017

La comédie du pouvoir - 16.3 La-France, concept paravent (écran de fumée)



La-France est une grande puissance militaire.
Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, qui en compte 15, La-France a donc, à l’instar de la Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Russie, le droit de veto lors des débats de cette institution. Ce n’est pas rien, quand on songe que le Japon et l’Allemagne, certes les perdants de la Deuxième Guerre Mondiale, sont aujourd'hui loin devant nous au palmarès des puissances économiques et pourraient donc également jouir de ce privilège. Passons.

La-France a donc une responsabilité particulièrement importante dans le maintien de la paix et de la sécurité du monde, dans l'établissement de sanctions internationales et dans l'intervention militaire de l’ONU.

Toto :
- Alors comme ça, La-France à elle seule peut, par exemple, empêcher une guerre ? Ouaou ! c’est beau comme quand Villepin a fait son discours contre la guerre en Irak. Et vlan dans les gencives à Bush ! Ah, on peut être fiers, nous les Français !
- Bof.
- Quoi, bof ?
- A l’époque, La-Russie et La-Chine, sur la même ligne mais pour d'autres raisons, allaient également opposer leur veto. Celui de La-France n’aurait fait que s’y ajouter. Ce discours, c’était juste une opération de com’, pour regonfler la cote de popularité de Chirac et de son ministre (qui déjà visait la succession).
- Pas sûr, mais en tout cas, La-France avait résisté aux Etats-unis.
- Résisté, mais pour rien. La guerre a bien eu lieu : sans même attendre la réunion du conseil de sécurité, les Ricains y sont allés seuls… enfin, en compagnie de leurs alliés de l’OTAN. Heureusement, grâce au Grand Charles, La-France n’en était pas. Mais maintenant que le petit Sarko nous a remis dans le guêpier et que Macron s’en trouve content…
- Ah oui, ces Amerloques, ils se prennent vraiment pour les justiciers du monde.
- Et La-France alors ? (*)

L’armée française est déployée dans beaucoup de pays pour y faire la police ; comme « force de présence », pour occuper l’espace, quoi : au Sénégal, au Gabon, à Djibouti, et même sur l’eau, dans l’Océan Pacifique et dans l’Océan Indien ; ou impliquée dans des coopérations avec des « états amis » (en fait des gouvernement amis du nôtre et de nos patrons du CAC40) comme le Tchad, le Mali, la Côte d’Ivoire… et bien sûr en collaboration avec des forces internationales en ex-Yougoslavie, en Asie Centrale, au Liban, en Ethiopie, au Soudan, etcetera.

Je lisais sur un site « …point gouv » à propos de ces opérations extérieures de l’armée française que ses « objectifs politiques et stratégiques [sont] définis et décidés par le Président de la République » et que, « afin de respecter le principe de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (sic), les conditions et modalités opérationnelles d'engagement de nos forces resteront du seul ressort du chef de l'État et du Gouvernement ».

C’est un peu fort, ça. Le parlement n’a rien à dire ? Et nous évidemment non plus. Seulement, vu de l’extérieur, c’est La-France, truc indéfini, fourre-tout mélangeant la géographie, l’histoire, le gouvernement, les entreprises et les citoyens, qui occupe un pays ou qui lui fait la guerre. C’est donc comme si nous - toi et moi - étions responsables de l’usage qui est fait des militaires français.
Or nous, individuellement comme en tant que peuple, ne pouvons absolument pas porter cette responsabilité, puisque notre monarque et sa bande peuvent déclarer la guerre sans jamais rien nous demander. Comme il n’y a plus d’appelés, que des professionnels de la guerre, l’armée française me semble maintenant plutôt une milice au service exclusif du président et de son gouvernement. Parce que tout en affirmant que c’est pour notre bien, ils font ce qui les arrange. Le comble, c’est qu’ils espèrent nous convaincre d’être d’accord avec et fiers de ça ; même que s’il nous prenait l’envie d’être contre, on passerait encore pour des traîtres à la patrie.

Il y a quelque chose qui ne va pas, là - non ? Moi, je suis pour que chacun assume ses responsabilités. Pas question de noyer le poisson avec des La-France par ci, La-France par là, parce que quand ça merdera, c’est nous collectivement qui serons désignés coupables et qui trinquerons : riposte militaire, terrorisme, sanctions économiques, que sais-je encore. Non, Sarkozy, tout seul (pour ce qui est de la France), a foutu le bordel en Libye. Tout seul, il doit être reconnu responsable et payer les pots cassés. Non mais !

Il serait temps qu’on réagisse, les amis. Vite, une Sixième République qui ôte des mains du président l’usage des outils de mort. Mieux : pas de président du tout. 

(à suivre)


(*) Extrait du « Livre Blanc (pourquoi blanc ?) pour la défense et la sécurité nationale [qui] a déterminé quatre zones critiques pour la France et l'Europe » :
« - arc de crise Mauritanie-Pakistan, où les intérêts français et européens peuvent être directement touchés par l'apparition de conflits
- Afrique sub-saharienne (pour quelles raisons ? pas dit)
- continent européen (stabilisation non achevée des Balkans et politique de puissance de la Russie vis-à-vis de l'étranger proche)
- Asie, avec impact possible pour l'Europe sous diverses formes (mise en jeu de la clause de défense collective en cas d'implication des Etats-Unis ; routes maritimes et approvisionnements stratégiques ; effets économiques et financiers). »

Ça plonge dans un abîme de questions, n’est-ce pas ? 

samedi 19 août 2017

La comédie du pouvoir - 16.2 La-France, Les-Français, opiums du peuple.

De par son économie, La-France est un grand pays. Non, La-France est plutôt une puissance, et même une grande puissance économique. Les-Français doivent en être fiers. (Allez, les amis ! Un peu plus d’enthousiasme, s’il vous plaît.)

Dans La Tribune du 16 juin dernier je lisais : « La France reste une place forte de l'économie mondiale. 6ème puissance avec une petite avance sur l'Inde, elle lutte avec le Royaume-Uni pour la 5ème place. Un rang qui devrait, d'ailleurs, bientôt lui revenir à la faveur de la chute de la livre sterling entraînée par le Brexit. Pour un pays qui rassemble moins de 1% de la population mondiale et dont le territoire représente 0,45% de la surface totale, ce n'est finalement pas si mal. »
Avec ces pourcentages ridicules, nous, Les-Français, faisons tout de même partie des riches - hé hé ! - en compétition directe avec les Angliches, nos ennemis héréditaires ; et on va se les bouffer, les Rosbifs, et ça sera bien fait pour eux ! Ouf, ça y est, tout va pour le mieux dans le plus libéral des mondes : le coq gaulois peut à nouveau chanter, quand bien même il serait esclave chez Uber ou chômeur de longue durée, sous le seuil de pauvreté.  

On avait eu en effet un petit coup de mou ces dernières années, avec cette histoire de baisse de la notation, les camouflets infligés par La-Allemagne, ennemi également héréditaire, et quelques autres déboires et tracasseries. Comment les économistes calculent la place de chaque pays dans l’ordre de la richesse et de la puissance, on se doute que ça n’a pas grand’ chose de compliqué, ni de bien scientifique, même si leurs savantes fonctions voudraient nous le faire accroire. Derrière ce palmarès, il y a en réalité des orientations stratégiques, deux ou trois chiffres choisis, des à-peu-près, des « corrections », bref du bidouillage ; mais nous qui en sommes avertis, nous nous en fichons. Nous nous en fichons parce que ce classement ramène tout à des quantités de fric, sans jamais tenir compte de la qualité de vie des gens. Et merde ! c’est tout de même ça, la vie qu’on a, qui devrait compter avant tout. Mais ils nous ont tellement bourré le crâne avec leur économie, qu’il nous faut désormais faire un effort pour le penser.

Oui, on s’est fait bouffer le cerveau ; c’est dramatique. Par exemple, l’Inde nous talonne au classement, sans doute grâce à des types comme Mittal qui a pu se payer Arcelor. Mais ça lui fait une belle jambe à la gamine de sept ans qui chaque matin quitte son bidonville infesté de rats pour aller aux carrefours vendre des fleurs aux beaux messieurs de Calcutta parce que son père ne gagne pas assez chez Mittal pour nourrir sa famille. Elle aimerait certainement mieux que son pays soit moins puissant et les gens plus heureux. Et nous, Les-Français, est-ce que si La-France passe devant le Royaume-Uni nous serons plus heureux, chacun ? Est-ce qu’une parcelle de misère en sera retirée aux plus misérables d’entre nous ? Evidemment, non. Alors à quoi bon se féliciter que le pays fasse partie du club des puissants ? La-France qu’on nous vend pour une grande chose n’est qu’un leurre. Aujourd’hui plus que jamais.

Pour preuves : ces fleurons de l’industrie française que sont TOTAL et DANONE ne bénéficient-ils pas d’une généreuse niche fiscale qui leur permet de ne pas ou peu payer d’impôts en France ? Et notre champion français du luxe, le milliardaire Bernard Arnaud, n’a-t-il pas demandé la nationalité belge il y a quelques années ? Et Cahuzac n’avait-il pas un compte off shore ? Et Depardieu n’a-t-il pas craché sur La-France parce qu’elle lui réclamait des sous ? Et il faudrait que nous soyons patriotes ! Non, suivons plutôt leur exemple : profitons sans vergogne, truandons le fisc, quittons la France ; que ceux qui n’en ont pas les moyens se fassent voleurs ou escrocs.

Enfin, à tous les gens du monde je dirais : cessez de faire des enfants car vos enfants deviendraient illico les esclaves travailleurs consommateurs de demain et continueraient d’enrichir à leurs dépens les cahuzacs et les mittals ; cessez de faire des enfants car les prochaines générations, par leur nombre à croissance exponentielle, scelleraient définitivement le triste sort de la planète et de l’humanité bien plus vite qu’il nous l’est prédit ; cessez de faire des enfants car ils mourraient bientôt à la prochaine grande guerre qui ne manquera pas de redonner à ce monde capitaliste effrayant un nouveau souffle.

Ne vous faites pas avoir : ne criez pas vive la France.


(à suivre)

mercredi 2 août 2017

La comédie du pouvoir - 16.1 La-France et Les-Français comme allégories grammaticales.

Chaque jour, en toute occasion, dans la bouche de politiciens et de commentateurs politiques, les concepts d’état, de nation, de peuple, et bien d’autres choses, se trouvent exprimés par une seule et même vocalise, La-France, ou par sa variante, Les-Français. Or, l’état, la nation et le peuple, ce n’est pas du tout la même chose.

Par exemple, quand on dit qu’à La-France échoit l’immense honneur d’organiser les jeux olympiques, on ne dit pas que c’est un comité olympique, des fédérations sportives, une mairesse de Paris, un président de la république, poussés par des sponsors et quelques grands aménageurs privés, qui ont sollicité cette faveur. On ne dit pas qu’ils ont décidé entre eux, sans jamais rien demander au peuple.

Le peuple est cependant censé approuver. Bien mieux, dans des moments de gloire tel que celui-là, les Français ont le devoir de se réjouir et de soutenir ceux qui ont décidé pour eux et obtenu pour eux, comme un cadeau qui leur est fait, l’organisation de ces JO. L’expression, Les-Français, ne peut donc pas ici signifier le peuple au sens démocratique d’ensemble de citoyens. En réalité, Les-Français désigne chacun de nous en particulier.

C’est l’âme qui est visée. Quand on est français, on doit aimer La-France comme on aime une mère, voire un dieu, c’est-à-dire qu’on doit aimer aussi tout ce que La-France fait. Car c’est bien La-France elle-même, une entité agissante, vaste et floue, dont nous faisons partie, que nous le voulions ou pas, qui avait déposé sa candidature aux jeux. On nous avait expliqué que Les-Français espéraient tellement l’emporter... L’obtention de ces jeux devrait donc nous rendre heureux. Depuis, afin sûrement d’allumer en nous l’étincelle du bonheur, la télé nous donne en effet à voir et entendre un tas de gens qui expriment leur joie sur les trottoirs.

Lorsqu’un jihadiste attaque un policier au couteau de cuisine, ce n’est pas Les-Français qui est visé, mais La-France éternelle que nous devons avoir dans le cœur, mais chacun de nous dans nos sentiments d’appartenance, de fraternité, de fierté, qui sont censés nous unir, nous tenir ensemble dans le giron de La-France éternelle.
Aussitôt est organisé un défilé où chacun pousse l’autre pour être sur la photo afin de montrer à Les-Français tout son amour pour La-France, une grande messe républicaine faite pour tirer des larmes, à laquelle nous ne pourrons qu’adhérer, puisqu’il s’agit de La-France, sans quoi nous passerions pour des traîtres.

On fait alors comme s’il n’existait pas des Français musulmans, des enfants de travailleurs algériens, par exemple, qui ne se sentent pas si bien dans La-France, ce pays qui a colonisé leurs aïeux, puis leur a contesté l’indépendance à coup fusil, qui a ensuite fait venir leurs grands-parents et les a exploités, qui a méprisé leurs parents et continue de les laisser eux-mêmes sur le côté de la route. Comme s’ils ne pouvaient pas secrètement comprendre le jihadiste, même quand ils trouvent que ce n’est pas bien de tuer les gens.

Ces Français-là, par l’œil des médias à l’affût, nous les observons, nous guettons le signe qui trahira leur haine de La-France. Vous vous souvenez comme Christian Karembeu avait du mal à desserrer les lèvres pendant la Marseillaise ? Bon, les journalistes ne disaient pas trop de lui, sans doute parce que La-France avait exhibé son grand-père dans une cage tel un singe ; mais quand même, ce n’est pas une excuse quand on porte le maillot, hein. Lorsque deux sprinters américains avaient jadis levé le poing sur le podium des JO pour dénoncer l’apartheid à l’égard des noirs aux USA, nous, Français, avions trouvé leur courage formidable. Mais ça ne se passait pas chez nous…

Il y aurait comme un regain de patriotisme en ce moment. La machine à manipuler les esprits, qui en fait le commerce, nous dit que le contexte le justifie : parce que La-France est attaquée (dans ses valeurs), la nation, Les-Français, doit faire bloc et résister à la soi-disant tentation de l’éclatement. Plus question de chercher des excuses, de se reconnaître des torts, de jouer les objecteurs de conscience ; l’empathie peut être coupable, le pacifisme est une trahison. Ce qu’on attend de Les-Français, c’est qu’il se range derrière le drapeau, se lève pour chanter la Marseillaise et acquiesce à l’action de son gouvernement quand il lui prendra de punir l’ennemi dûment désigné.

Comme ce patriotisme - ce nationalisme - est dangereux ! Et particulièrement dans ce contexte de guerre mondiale (oui, oui : vous n’avez qu’à compter les pays qui ne sont pas en guerre…). D’abord parce que, je ne suis pas d’accord avec nos dirigeants et que La-France n’agit donc pas en mon nom. Et puis parce que l’histoire récente nous apprend que quand nos dirigeants se font humilier par un dirigeant d’un autre pays, au lieu d’avouer qu’ils se sont fait avoir, qu’ils n’ont pas su faire leur boulot, au lieu de démissionner, ils nous font croire que c’est La-France qui a été humiliée et que nous le sommes donc aussi, à grand renfort de discours enflammés et de symboles.

Et alors ? Et alors, Les-Français épouse l’humiliation de ses chefs et le voilà prêt pour la revanche, tout chaud pour déclarer la guerre et partir la fleur au fusil dézinguer du Prussien en 14 et du Kadhafi en 2011.


A suivre